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On le sait, les humoristes ne sont pas sérieux. Ils riraient à leur propre enterrement s’ils le pouvaient.

Rien ne distingue a priori l’humoriste de l’honnête homme. L’humoriste va à la selle une fois par jour, est obligé de se couper les ongles régulièrement et trouve son enfant plus attendrissant que celui des autres. Tout au plus repère-t-on une plus grande proportion d’humoristes chez les gens qui ont subi une ablation du prépuce ou qui aiment prendre le thé vers 17h00. Cette adéquation statistique n’a encore à ce jour trouvé aucune explication logique. Si vous n’avez pas d’humour, inutile donc de vous faire hospitaliser ou d’adopter des coutumes barbares.

Non, la seule chose qui distingue l’humoriste de l’honnête homme, c’est qu’il pratique l’humour. Le mot est d’origine anglaise, on ne sait pas très bien ce qu’il peut signifier. Tout au plus peut-on constater que l’humoriste aime à relever autour de lui les détails insolites, ridicules ou absurdes de la réalité. Quand l’honnête homme voit en l’éléphant le dernier représentant des proboscidiens, l’humoriste lui ne voit qu’un animal au long nez… L’humoriste est un imbécile qui ne peut susciter de sympathie, puisqu’il le fait exprès. A contrario, on est en droit d’admirer l’honnête homme  qui, quand il se comporte comme un idiot, le fait bien malgré lui.

Certains humoristes, non content de se moquer de tout et de rien, et surtout des choses d’importance, décident même de faire profession des rires gênés qu’ils provoquent. Ils ajoutent alors à l’ironie et à la satire un cynisme intolérable et rémunéré. Pendant ce temps, l’honnête homme lui sue sang et eau pour nourrir sa famille en fabriquant des missiles, en éduquant des sauvageons ou en étant sélectionneur d’une équipe de foot.

L’humoriste n’est donc pas qu’un imbécile volontaire, c’est aussi un salaud. D’ailleurs, il n’était pas rare qu’Hitler raconte des blagues juives en fin de repas… Nous devrions nous féliciter chaque fois qu’un honnête homme vire un humoriste. Surtout quand cet honnête homme est lui-même un humoriste repenti, revenu de l’enfer des coussins péteurs et des contrepets. Philippe Val faisait des spectacles comiques dans les années 70, accompagné d’un sinistre gauchiste qui a fini en prison à cause d’une blague pas drôle. Mais la vie de Philippe Val a changé quand il est entré en Résistance, guidé par l’esprit des Lumières, contre la Nuit Humoristique : il a d’abord courageusement tenu la chronique la plus prodigieusement emmerdante d’un hebdomadaire satirique avant de diriger une station de radio d’une main de fer. Dans les deux cas, il s’est astreint à virer des humoristes. Et il a bien fait.

Un bon humoriste est un humoriste viré. Je vous l’avoue, je doutais des qualités de Stéphane Guillon et de Didier Porte, le premier me faisait rire un peu et l’autre à peine. La chronique radio suppose des contraintes d’écriture telles que seul un authentique génie du verbe pourrait y être toujours drôle. La mise en scène de soi que suppose la chronique entraîne l’écriture dans des jeux d’égo où l’on perd facilement l’humilité que devrait garder tout humoriste, car se moquer de tout, c’est surtout se moquer de soi. Je ne crois pas Stéphane Guillon et Didier Porte aient toujours franchi haut la main ces deux obstacles (et j’en serais pour ma part tout à fait incapable…) mais ils ont tout de même réussi quelque chose. Car la dernière contrainte qui s’imposait à eux, était celle du salariat, de la commande, de la discipline et de la ligne éditoriale. En s’en moquant, ils se sont fait viré et ont prouvé qu’ils étaient d’authentiques humoristes. Ils ont ri à leur enterrement.

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