Eloge du sourire
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Gravité :
a) Vieilli. Phénomène d’attraction d’un corps vers le centre de la terre.
(…)
P. ext. [En parlant de choses] Aspect sérieux, solennel, un peu austère.
La gravité est l’ennemie éternelle du sourire. Tandis qu’elle tire constamment les coins de la bouche vers le bas, elle alourdit l’esprit, de toute sa pesanteur. L’attraction terrestre lui rappelle la destination finale et le retour à la terre. L’attraction terrestre, c’est la mort qui essaie de nous embrasser dès maintenant.
A la naissance, passant de l’apesanteur à la pesanteur, le bébé fait, comme on le comprend, la gueule. Dès sa première minute d’existence, il sait pleurer ; il lui faudra deux ou trois mois pour apprendre à sourire. C’est la première fois qu’il se libèrera un peu de la gravité en redressant les coins de ses lèvres, avant de se tenir assis, de se lever, de marcher et de souhaiter un jour pouvoir voler. C’est à ce moment, au fond, qu’il se décide à vivre malgré le poids des choses, contre le poids des choses. Le sourire est une force qui s’oppose à une autre, c’est la première résistance, la plus belle, celle qui se passe du discours.
Les anges n’ont pas de sexe, ils ont un sourire. C’est à ça qu’on les reconnait quand leurs ailes sont repliées. S’ils sourient, c’est qu’ils se souviennent encore, à terre, d’avoir volé jusqu’ici.
Le sourire est humble, c’est ce qui fait sa force. La littérature qui lui est consacrée est faite de petits poèmes ordinaires et d’aphorismes naïfs qui en affirme la gratuité et l’influence. Le sourire est par définition léger. C’est ce qui lui permet de voler de bouche en bouche, comme un papillon de fleur en fleur, et d’ainsi féconder des visages nouveaux de sa clarté patiente. Le sourire est un silence, celui d’avant qu’on ne se parle et celui d’après que tout ait été dit. Il sert de parenthèses à l’amour, il invite au baiser et reste après, comme un vestige de la volupté.
Le sourire n’est rien ; c’est cette inflexion délicate qui fait d’une femme La Joconde. Le sourire n’est rien ; c’est cette inflexion délicate qui fait d’un inconnu un complice. C’est un mot qui se comprend dans toute les langues et qui ne se trouve dans aucun dictionnaire, qui ne signifie rien et veut tout dire.
C”est un mystère, celui de l’espoir qui enjambe le gouffre et qui s’envole vers l’horizon, bien au-dessus des enfers.