Le vendredi, c’est Manatee au Paqueböt. Vous ne connaissez pas ? C’est normal, c’était leur premier concert. Deux anciens Norman B auxquels s’ajoute un batteur. Le trio fait de l’indie pop qui n’est pas une musique très sérieuse, on en conviendra… La preuve ? Le batteur à un prénom de fille. Hahaha… Et la coifure du chanteur, non mais vraiment… Je serais sa mère… Bon, soyons honnête, l’indie pop, je n’y connais rien. On arrive, exactement au moment des premières notes en vertu de la règle tacite que s’imposent désormais les groupes caennais, on ne joue pas tant que le loup n’est pas dans la place. L’ambiance de salle est très particulière. Beaucoup de “pros” dans le Klub… On dirait qu’ils sont à la messe. Super sérieux, presque tendus. C’est qu’il y a du buzz autour de Manatee. Sur les quelques mois de composition du EP et du set, personne ou presque n’a entendu ce qui se passait. Et les quelques privilégiés qui ont pu faire traîner leur oreilles en studio revenaient avec le sourire extatique de la personne en pleine crise mystique… La plupart des gens qui sont là ne sont pas venus se faire plaisir à un concert, mais pour se faire rapidement une idée. J’avoue que j’aime bien ce mélange de snobisme et de probité. Mais pour le groupe, ça doit être difficile. Le public est tellement concentré qu’il en devient cul serré. Heureusement pour Manatee, leur set est effectivement très bon. Si l’interprétation est timide, j’entends de très bonnes choses. Bon, c’est un peu à la mode, avec notamment cette grosse caisse jouée à la main et au temps ou les claviers de la chanteuse qui sonnent un peu électro cheap… Mais peu importe puisque c’est bon, souvent très beau, surtout la deuxième moitié du set. Des gens qui connaissent mieux cette musique que moi la compare à Animal Collective et Bat for Lashes… Je fais que répéter. Et j’ai très envie de les revoir…
Le samedi, c’est Princesse Rotative, que je n’ai pas vu depuis très longtemps, au Caminal. Princesse Rotative, c’est un peu tout ce qui fait du bruit réuni en quelques minutes de violence pure et infantile. Un breakcore noisy animé par un chien en peluche et une une petite fée espiègle, armée et dangereuse. C’est servi avec un Vjing qui alterne montage hyper cut et animation déviante, du genre Michael Myers débarque dans un disney old-school… J’ai les oreilles qui saignent assez rapidement. Princesse Rotative, je sais pas pourquoi ça me plaît, c’est un peu comme aimer aller chez le dentiste et préférer ça sans anesthésie. Il y a quelque chose de purifiant dans ce genre de set, ça ne ressemble tellement à rien et c’est tellement abrasif que ça vous enlève tout de suite les merdes variétoches qui vous restent en tête. Princesse Rotative, c’est un traitement radical, non remboursé et pendant lequel tu peux mourir. Mais je te promets qu’après, si tu survis, tu te sens mieux… Enfin, si tes oreilles cicatrisent… Pour passer la douleur, je décide quand même de prendre une petite caisse express.
Dimanche, c’est évidemment cuvage dans le canapé. J’ai la chance de tomber sur La Planète des singes, pas vu depuis des plombes. Les monologues inauguraux de Charlon Heston n’ont rien perdu de leur ridicule, ni les scènes de chasse et d’asservissement de leur force brutale. Et la fin est toujours magnifique…
Dernier entretien avec Jean Grimbosq :
“Pfff… La torture… Tout ça arrive trop tard de toute façon, non ? C’était déjà connu pour l’Algérie à l’époque. Même pendant la Résistance… On était pas des enfants de choeur. Et en face non plus d’ailleurs… Que ce soit la Gestapo ou les miliciens, il ne faisait pas bon tomber entre leurs mains. Le renseignement est sans doute ce qu’il y avait de plus important. Je crois que c’est à partir de l’été 43 que nous renseignions Londres presque directement. Moi, ça ne faisait pas partie de mes activités, mais Joseph était très doué pour ce genre de chose. Il aurait fait un officier formidable. Et comme nos activités étaient clandestines, les Allemands, les collabos, Vichy, tous se sont concentrés sur le renseignement. Et il n’y a pas 36 façons de faire du renseignement efficace. Tu quadrilles le terrain, tu rafles autant que tu peux, même les innocents, surtout les innocents d’ailleurs, tu tortures, tu exécutes et tu fais disparaître les corps. Si tu assortis ça avec un couvre- feu, ça te permet de travailler tranquille la nuit pour les arrestations, et des groupe contre-révolutionnaires, tu as du renseignement de première.
Dans le fond, ce sont les Allemands qui m’ont appris à torturer. La baignoire, c’est vraiment une leçon que j’oublierai jamais. Ça te travaille un bonhomme pendant des jours sans l’abîmer. Tu ajoutes la privation de nourriture, de sommeil, les menaces et l’enfermement et crois-moi qu’en quelques jours tu fais réciter le Notre Père à n’importe quel arabe sur n’importe quel air. La gégène, c’était un coup de génie. On a commencé en Indo, un peu. Et puis l’Algérie…
Bon, ton arabe, tu lui fais réciter le Notre-Père en quelques jours dans le pire des cas, mais c’est pas la Bible non plus… Faut pas croire tout ce qu’il te raconte, il te récite un peu n’importe quoi à la longue… Il y a du vrai dont tu te doutais même pas… Il y a du faux que tu crois vrai juste parce que tu rêves de l’entendre… Il faut recouper les interrogatoires… Tu as ceux qui racontent tout et n’importe quoi au bout de dix minutes… Et puis tu as les têtus, c’est mulet un arabe des fois, eux ils vont jusqu’au bout… C’est rare, mais ils finissent sur la planche avec une bonne crise cardiaque après t’avoir insulté pendant quatre jours. Tu peux pas t’empêcher d’avoir une certaine admiration pour eux. Mais quand il ne reste plus qu’un tas de viande, tu passes au suivant.
Je te raconte ça, parce que je sais bien que je vais crever bientôt. Mais c’est pas malin. Aussaresses aurait mieux fait de se taire, malgré l’amnistie, il ne s’est attiré que des ennuis. Je n’ai jamais eu beaucoup d’estime pour lui malgré ses faits d’arme. Je préfère l’attitude de Bigeard. Même si sa réputation a été salie, il reste un homme d’honneur et sans doute un des meilleurs militaires français.”
Éloge du blanc manteau
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On se tord les bras, on s’arrache les cheveux, on grince des dents, on lève un poing rageur vers le ciel avant de s’effondrer en larmes impuissantes car nul ne peut ignorer cette calamité, que dis-je, ce cataclysme, cette dévastation, cet enfer : il neige… Rentrez les enfants, cachez vos femmes, abattez les animaux, il neige ! Fermez les portes à double tours, rabattez les volets, fermez les rideaux et commencez à prier, il neige ! On va tous mourir ! Il neige ! IL NEIGE !
Avant de céder à la panique légitime, rappelons quelques faits… C’est au tout début du XVIème siècle que Léonard de Vinci dans des notes annexes à l’invention de la glace italienne trace pour la première fois les plans de la neige… Comme souvent chez Léonard, l’invention reste au stade d’intuition et il n’a pas la temps de la réaliser. Le concept sera développé au cours des siècles jusqu’à l’invention de la boule de neige par Thomas Edison alors qu’il n’avait que cinq ans, inspiration fulgurante qui permettrait de présager du génie futur du jeune garçon… Avec les bienfaits de la civilisation, l’Occident a exporté la neige dans le monde entier : les conquistadors dans la Cordillère des Andes, les Anglais au Népal et au sommet du Kilimandjaro, les Français en Terre-Adélie… La chrétienté a même offert tout un continent de glace à quelques malheureux sauvages Inuits qui, avant, n’avaient rien… La fonte de la neige au sommet du Kilimandjaro et le fait que les pygmées Aka n’ont pas de mot pour la désigner montre d’ailleurs fort bien, en plus de sa générosité universelle, la supériorité intellectuelle de la civilisation blanche sur toute autre. La neige est fort utile en tant de guerre, elle permet de repousser à peu de frais les Napoléon et les nazis pendant les campagnes de Russie. Elle fait aussi rire les enfants et leur permet d’oublier un instant les problèmes d’érection et le prix de l’essence. Enfin, c’est depuis sa démocratisation que l’on sait à quoi sert la fameuse invention d’Archimède, le snow-board… La neige est donc normalement une bénédiction, le fruit du génie humain…
Pourquoi la neige serait-elle alors devenue la onzième plaie d’Égypte, le cinquième cavalier de l’Apocalypse, le quatrième tiers prévisionnel ? On raconte que la neige tue les automobilistes et les clochards, qu’elle brise les os, qu’elle interrompt les transports, casse les lignes électriques, empêche les travailleurs de travailler, qu’elle sème la désolation et l’anarchie… On imagine tout de suite la tendresse que je peux avoir pour elle. Moi, ces draps immenses qui couvrent les lits des rivières me donnent envie de faire l’amour à vos campagnes. Mais bon, reprenons point par point…
La neige tue des automobilistes. Admettons… On voudra bien reconnaître qu’en cette période de réchauffement climatique, c’est de la légitime défense… Les automobilistes ont commencé… Faisons appel à la raison ; quand il neige, la grande majorité des automobilistes passent leur temps à patiner gaiement à moins de dix kilomètres par heure, à fulminer dans des embouteillages et à se demander comment ils ont pu se mettre dans un fossé alors qu’ils conduisaient en ligne droite. Il est évident que quelques jours de neige réduisent le nombre d’accident mortels puisqu’ils réduisent la circulation et la vitesse. La neige ne tue pas les automobilistes, elles les sauvent de leur propre bêtise, les invite à ralentir, à se montrer prudents, elle démontre qu’une voiture est une chose fort dangereuse et qu’ils peuvent aller au boulot à pied .
La neige tue les clochards. Enfin, le froid quoi. Heu… En fait… Bon… Ça m’ennuie de vous dire ça mais… Voilà… Toutes les statistiques montrent que les clochards meurent moins l’hiver que l’été… … … … Oui, je sais c’est dur à entendre… Voilà, l’explication… Quand la bise est venue, les structures d’accueil et les associations se mettent à fonctionner à plein régime. Pour vous donner un exemple connu, ces gros fainéants des Restos du Coeur passent leur été sous les cocotiers au lieu d’aider les indigents, l’hiver ils rattrapent le temps perdu en distribuant des millions de repas et en contribuant à la réinsertion et au relogement des clochards. Les clochards sont mieux nourris, soignés et logés l’hiver que l’été. La neige, dans sa bonté infinie, réduit considérablement la mortalité des sans-abris.
Devant l’évidence, vous comprendrez que quelques petites fractures supplémentaires ne sont pas un grand mal face au nombre de vies sauvées. Et qu’il y a mieux une certaine grâce au pire un sentiment burlesque à voir les gens glisser plus ou moins adroitement sur les trottoirs immaculés. On a pas souvent l’occasion de réapprendre à marcher. Et comment ne pas regarder avec tendresse ce couple que le froid et le gel serrent l’un contre l’autre, ces enfants qui tentent de se briser les os lors de glissades épiques ou le triomphe de l’ancienne qui a vaincu vingt mètres de glace pour acheter son steack de cheval alors qu’elle n’était pas sortie depuis deux jours. La neige remet l’épopée au coeur de vies étriquées.
Enfin, et c’est paraît-il le plus grand reproche que l’on peut lui faire, la neige casse les lignes électriques, interrompt les transports plus ou moins communs et empêche le travailleur de travailler. On trouve même des travailleurs pour s’en plaindre, des asservis qui regrettent leurs coups de fouet quotidiens, des prisonniers qui se plaignent de n’avoir pas assez de barreaux et que le froid passe entre, des gens qui font six heures de route pour en travailler deux… Il paraît même que la neige a ralenti l’économie et saboté le début des soldes. C’est une terroriste en cagoule claire et au drapeau blanc dont la lutte pour la décroissance est d’une redoutable efficacité. Elle libère chacun de la servitude du travail et de la contrainte consommatrice, fait de l’exception une règle pour quelques jours. Devant le spectacle de sa propre liberté, le quidam s’effraie ! Que faire n’est-ce pas de ce temps libre ? Se promener pour s’apercevoir que le monde est beau quand l’homme ne le traverse pas à toute vitesse hurlante, jouer avec des enfants qui ne sont pas les siens, ne rien faire peut-être… attendre derrière la fenêtre en comptant les flocons… se rappeler son enfance… le temps d’avant qu’on ne devienne un adulte responsable, un rouage de la société… et avoir froid… non pas à cause de la neige, mais à cause de la chaleur perdue… des rires éteints… et parce que cela fait vingt cinq ans que Maman ne nous a pas fait un bon chocolat chaud…
Il n’y a qu’un seul reproche à faire aux dernières neiges. Qu’elles aient eu des centimètres au lieu de mètres…