Archives pour ‘Imprévus de presse‘

La fausse commune

Dimanche 03 Mars 2013 à 15:15 - Catégorie: Imprévus de presse
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Nous allons tous mourir. A l’exception de ceux qui sont déjà morts. Ils sont beaucoup plus nombreux que les vivants. Dans le monde médiéval, qui connaissait la mort mieux que nous et qui reprenait sans chipoter de la peste et du choléra, on se félicitait de cet état de fait. On brûlait aussi des femmes et on donnait des bergères aux loups. On savait s’amuser d’un rien, c’est à dire de tout. On représentait la mort dévorant l’humanité sous forme de danses macabres emmenées par le Pape. C’est qu’on savait que la mort se moque des distinctions sociales et qu’elle frappe avec la même sévérité le riche et l’indigent, l’homme de pouvoir et l’homme de peine. Hélas, de nos jours, la mort ne fauche plus qu’à peine. Son crâne nu transpire. Nous avons augmenté notre espérance de vie, c’est à dire qu’on ose plus regarder la mort en face. Les Papes ne meurent plus menant derrière eux la sarabande du peuple dansant, ils démissionnent. Ils se retirent. Ils ne jouent plus.

Tous égaux devant la mort ? Pas sûr. Certaines processions funéraires sont plus suivies que d’autres et l’on se réunit autour du cercueil des plus ou moins célèbres. La semaine dernière, la France a connu deux deuils.

Stéphane Hessel est mort. Il avait 95 ans, ce qui est un âge honorable. Certes, la vieillesse est un naufrage et il était un peu aigri sur la fin, c’est le privilège de la vieillesse. Il avait même écrit un opuscucule intitulé Indignez-vous pour expliquer son aigreur. A la suite de quoi, paraît-il, dans toute l’Europe et même à New-York des millions d’aigris avaient manifesté pour se plaindre alors qu’ils n’avaient pas tous des rhumatismes. C’est que Hessel dans son ouvrage, s’achevant sur un slogan embarrassant : “Créer, c’est résister. Résister, c’est créer” qui montre que même en deux phrases, à 93 ans, on radote, c’est que Hessel, disais-je, avait la nostalgie qu’on éprouve légitimement à l’approche de la mort pour le temps jadis, le programme du Conseil National de Résistance et l’absence d’Israël comme état. Mort, il fait la couverture de Libé avec un jeu de mots  “Un juste” qui montre bien la disparition totale de toute culture historique au moment du choix de la couve. Si le calembour est la fiente de l’esprit qui vole, Libé montre quotidiennement qu’on ne doit pas hésiter à chier sur ses lecteurs. De haut…

Daniel Darc est mort, il avait 53 ans, ce qui montre qu’il était beaucoup moins résistant que Stéphane Hessel. Il était chanteur. Il était content d’être encore en vie malgré la drogue, les veines tranchées sur scène et les cicatrices qu’il arborait malgré lui. Il a traversé le post-punk et la new wave avant de faire de la chanson française. Quand on a beaucoup vécu, la vieillesse est un naufrage qui commence tôt et s’achève rapidement. Il a pris de la bouteille. Trop. Et des médicaments. Les anciens toxicos sont souvent des gens qui finissent par se soigner avec des drogues légales et qui croient creuser ainsi le trou de la sécu plutôt que leur tombe. Il faut bien dormir. Et des fois, on dort trop longtemps. Mort, il fait la couverture de Libé avec un jeu de mots  “Darc en ciel”. Si le calembour est la fiente de l’esprit qui vole, Libé montre quotidiennement qu’on ne doit pas hésiter à chier sur les tombes. Sans doute une ultime scorie de la geste punk…

Tout le monde meurt, mais certaines morts seraient des évènements particuliers. Toutes les fosses ne sont pas si communes. La vie publique autorise tout un chacun à s’emparer de la mort des célèbres (comme je le fais d’ailleurs ici). Il ne s’appartiennent plus. Va-t-on mettre l’un au Panthéon ? L’autre au firmament en rajoutant une star aux étoiles qui éclairent la nuit ? On croit rendre des hommages ? On crée de toute pièce un fait marquant à partir de ce qui n’est qu’une anecdote. Un vieillard s’éteint d’avoir vécu trop longtemps, un homme meurt d’avoir vécu trop. Nous les connaissions parce que les industries médiatiques avaient imposé leur présence à notre table alors que nous écoutions la radio ou lisions les journaux. On les connaissait à peine. On avait pas lu leurs livres parce que dix pages, cela nous paraissait un peu court ; ni écouté leurs albums parce que dix plages, ça faisait un peu long. Pourtant pendant quelques jours, ils font partie de nos conversations, de celles gênées qui se tiennent à voix basses, aux enterrements, pour que la famille n’entendent pas qu’on est venu que par politesse. Ce qui est la moindre des choses. Comme mourir l’est. Nous en sommes tous capables.

On ira pas pourrir au Panthéon. C’est dommage, ça doit être rigolo d’entendre à l’entrée Voltaire et Rousseau qui s’engueulent pendant que Louis braille…

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Un féminicide vient d’avoir lieu dans la différence générale.

Enfin, n’exagérons rien…

Toutes les femmes non mariées n’ont certes pas été totalement exterminées. Elle n’ont été que mutilées. Désormais, il leur manquera à toute une case. Voire plusieurs. La coupable ? Une circulaire du temps. Une circulaire de rien. La ou les cases manquantes ? Dans les documents administratifs,  les cases : Mademoiselle, Nom de jeune fille, Nom patronymique, Nom d’époux ou Nom d’épouse n’auront plus lieu d’être. C’est de la faute au gouvernement… Comme d’habitude.

Mais derrière tous les grands hommes, il y a bien sûr des femmes. Attachées.

Attachées, disais-je, à la façon dont on les nomme, dont on les caractérise, dont on les stigmatise et qui connaissent la juste valeur des maux. “Osez le féminisme !” et les Chiennes de garde, on ne saurait mieux se nommer. La prescription publicitaire et le calembour comme juste valeur des mots, soit… Qu’on préfère être chienne plutôt que Mademoiselle, soit encore. Qu’on préfère être Madame plutôt qu’avoir le choix est évidemment un progrès pour la liberté individuelle. (Puisque choix il y avait, étant donné que ni Monsieur, ni Madame, ni Mademoiselle ne constituaient un élément de l’état civil…)

Il n’y aura plus désormais que des Madame. Les féministes ont opté pour le terme le plus “respectable”, cela en dit long sur leur rapport à l’institution et au vocabulaire.

Demain, je bifferai rageusement le terme Mademoiselle de mes dictionnaires, libérant ainsi des millions de femmes. Et pendant ce temps, chez les odonates, les libellules jalouseront les demoiselles dont le corps plus grêle et les mini jupes continueront de faire rougir le soleil couchant au lit des rivières.

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Le triomphe de l’évidence ou la République des enfants

Jeudi 16 Février 2012 à 19:06 - Catégorie: Imprévus de presse
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Et soudain, un coup de tonnerre a éclaté, sans crier gare, dans le ciel sans nuage de la politique française.

Qu’avons nous appris le mercredi 15 février 2012 aux environs de 20h00 en regardant le journal télévisé de TF1 ?

Que le Président de la République, contre toute attente, défiant tout pronostic, faisant se retourner dans sa tombe Nostradamus et perdre sa Faculté à Elisabeth Tessier se présentait à l’élection présidentielle de 2012. Les commentateurs politiques restent cois, les sondeurs, qui ne l’avaient évidemment pas inclus dans les sondages, refont leurs copies, l’électeur sidéré qui, évidemment, pensait voter Morin, Boutin ou de Villepin ne sait plus qui choisir (d’autant que, autre incroyable coup de théâtre, les deux premiers ne se présentent plus, c’est vraiment dingue), le CSA refait ses comptes. C’est une révolution qui a eu lieu. On a découvert l’Amérique, on a marché sur la Lune, on a prouvé l’existence du clitoris, Dieu est venu manger à la maison (n’en déplaise à  certains, il a repris des rillettes) et les archives de la zone 51 prouvent l’existence des extraterrestres. Nicolas Sarkozy est candidat !

On voit que je tire à la ligne tant la mise en mot d’un non-évènement s’avère difficile. Inutile d’analyser à nouveau un discours que tout le monde connaissait d’avance : travail, autorité, France, peuple, référenda (pouf pouf), etc. : tout avait déjà été su et décortiqué. Les pour sont plutôt pour ; les contres, franchement contres. Les opinions étaient déjà faites. Laurence Ferrari passe les plats : à l’heure du repas, cela n’étonne plus personne : ” Vous avez des regrets ?” lui dit-elle…

Cette déclaration de candidature n’a guère été que performative et médiatique au sens le plus pauvre de chaque mot.

Que se passe-t-il exactement quand il ne se passe rien ?

Le Petit Bouddha va bientôt fêter ses quatre ans. Quand elle va aux toilettes, elle dit qu’elle va aux toilettes. Quand elle dessine, elle dit ce qu’elle dessine. Elle dit même ce qu’elle pense sans vraiment se préoccuper de la situation d’énonciation. Mais pour elle, tout cela est évènement puisqu’il s’agit à chaque fois de la rencontre, toujours nouvelle, entre le monde, sa capacité à agir sur lui, sa pensée et son langage.

C’est sans doute tout l’héritage programmatique (je ne sais pas ce que ça veut dire mais c’est mon mot préféré, en ce moment, avec opératoire) d’un Nicolas Sarkozy qui s’est toujours vanté de dire ce qu’il faisait et de faire ce qu’il disait. Comme ma fille…

Mon seul espoir devant le vide ressenti hier est que Nicolas Sarkozy soit un président de 5 ans, peut-être encore émerveillé du jeu politico-médiatique, qui parle tout seul au bout de la table de repas des français, avant qu’on ne l’envoie se coucher pour que nous puissions enfin faire de beaux rêves.

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Ouaich Gro : Joly portrait d’Eva

Lundi 28 Novembre 2011 à 16:38 - Catégorie: Imprévus de presse
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Nous avons un problème grave pour la prochaine présidentielle et ce  problème s’appelle Eva Joly.

Eva Joly est un homme politique français.

L’esprit rigoureux bute sur cette proposition.

D’abord, cet homme est une femme.

Ensuite, ce politique est un ancien juge, et Dieu sait, lui qui occupe les deux fonctions avec difficulté, combien il est compliqué d’être juge et Parti(e).

Enfin, cette hommelette est norvégienne. Née Gro Eva Farseth (ce qui pourrait encore passer) mais qui plus est à Motzfeld, elle a vécu sa jeunesse dans le quartier de Grünerlokka (je vous épargne le o barré). On a du mal à voir le point commun avec Bures-sur Yvette et Ménilmontant… N’en jetez plus, la France est pleine.

Si elle n’avait pas fini troisième au concours de Miss Norvège…

Gro Eva Joly est donc française par le mariage. On sait comme les jeunes français sont sensibles au charme scandinave, surtout quand celui-ci a été primé et est encore primeur. On ne peut pas jeter la pierre à Monsieur Joly pour avoir essayé de donner son nom à une femme manifestement faite pour le porter. Pas plus qu’on ne peut lui reprocher d’avoir  donné deux enfants à cette femme faite, par définition, pour les porter. C’est cela aussi la France. Mais enfin, qu’une femme scandinave, c’est à dire viking, c’est à dire barbare, ne puisse se contenter d’avoir un mari et des enfants français sans demander par la même occasion le privilège d’avoir la même nationalité que sa famille ne peut que choquer l’esprit le plus patriote. Surtout quand on apprend qu’elle a gardé par ailleurs la nationalité norvégienne. Si ce n’est pas de la duplicité, ça ? Une double nationalité ? Non, Madame ! Nous ne sommes pas tous des juifs allemands !

Cette femme a été juge ! Et quelle juge ! Elle a fait incarcérer Loïk Le Floch-Prigent un petit chef de PME opiniâtre et travailleur et a mis en examen Roland Dumas alors Président du Conseil Constitutionnel. Elle lutte depuis des années contre la corruption sous toutes ses formes, fussent-elles politiques. Et elle veut devenir Président de la République ? Après avoir craché dans la soupe ? Et puis soyons honnêtes, peut-on confier la charge la plus importante de l’Etat à quelqu’un qui n’a pas fait les études pour ? Et l’ENA, c’est fait pour les chiens ? La France gouvernée par un juge ? Et pourquoi pas par un avocat tant que nous y sommes ?

Enfin, et c’est sans doute le pire, Eva Joly est une femme. Il nous serait impossible d’énumérer ici tous les travers de la femme pour d’évidentes raisons de temps et de place. Nous résumerons succinctement la situation en l’abordant d’un strict point de vue politique. On le sait la femme est frivole. Elle ne pense qu’à son apparence. Les fameuses lunettes rouges, qui suscitent des gloses (inter)minables, sont bien le signe de la futilité de la pensée d’Eva qui ne pense qu’à se faire Joly. Alors que  tous les hommes politiques ont l’intelligence de s’habiller de la même façon pour bien montrer qu’ils sont interchangeables, les femmes évitent le costume-cravate-chemise bleu-blanc-rouge et préfère s’habiller normalement ce qui manque de sérieux. En politique, un homme mesuré essaie d’accorder ses actions à sa pensée et à son analyse de la réalité. C’est ainsi que l’homme politique est grand. Le soir, en quittant l’Elysée, il éteint la lumière et baisse le chauffage  après avoir couché la France dans un lit douillet. La femme, elle, réagit avec des sentiments incontrôlables à une situation qui la déborde. Un homme politique est hyperactif, une femme est hystérique. Un homme politique est sensible aux problèmes des français, une femme n’a pas les épaules. Il arrive qu’un homme politique sente le vent venir, une femme panique. Un homme politique à des convictions, une femme est psychorigide. Et puis comme disait l’autre, qui est-ce qui va s’occuper des gosses ? Eva Joly  est psychorigide. D’ailleurs a-t-on jamais vu une femme présider la France ? Et pourquoi pas un président noir aux Etats-Unis tant que nous y sommes ?

Non, le seul intérêt de la candidature d’Eva, c’est les chouettes jeux de mots que son prénom autorise. Même un mal comprenant devrait y arriver sans peine et nous espérons que Jean-Pierre Chevènement, toujours en rééducation, s’y essaiera. Qu’Eva Joly soit une femme intelligente, pugnace et bousculant le système par le simple fait de ne pas tout à fait y appartenir, nous laisse parfaitement indifférent. Qu’elle abandonne son accent, son passé et qu’elle fasse une ovarectomie et nous en reparlerons.

On va reprendre un perroquet, une tomate et des cahouètes…

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L’outrage au drapeau

Mardi 27 Juillet 2010 à 14:39 - Catégorie: Imprévus de presse
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Je cite entre guillemets un extrait du billet de Maître Eolas, tenancier d’un blog fort instructif :

“Le Gouvernement, qui n’a visiblement rien de mieux à faire de ses journées (Quelle crise ? Quelles affaire ? Où ça, une guerre en Afghanistan ?) a aujourd’hui décidé de rétablir une infraction de blasphème.

Le décret n°2010-835 du 21 juillet 2010 relatif à l’incrimination de l’outrage au drapeau tricolore est publié aujourd’hui au JO, et incrimine d’une contravention de 5e classe (1500 € d’amende max, 3000€ en cas de récidive)

le fait, lorsqu’il est commis dans des conditions de nature à troubler l’ordre public et dans l’intention d’outrager le drapeau tricolore :

1° De détruire celui-ci, le détériorer ou l’utiliser de manière dégradante, dans un lieu public ou ouvert au public ;

2° Pour l’auteur de tels faits, même commis dans un lieu privé, de diffuser ou faire diffuser l’enregistrement d’images relatives à leur commission.

Rappelons que cette loi indispensable est due uniquement à [une photo], primée lors d’un concours de photographie de la FNAC de Nice sur le thème du politiquement incorrect. En effet, aucune loi ne permettait de punir cet artiste pour son oeuvre, vous réalisez le scandale : on se serait cru dans, horresco referens, un pays de liberté, du genre de celui qui écrirait ce mot sur le frontispice de ses bâtiments publics.”

Mon cher Drapeau,

je vais me dépêcher avant que cet outrage ne concerne plus l’objet physique, mais aussi le symbole. Pour l’instant, je dois être tranquille, je l’espère en tout cas. Mon cher drapeau, disais-je… Je n’ai a priori aucune raison de t’outrager, dans le fond, tu m’importes peu. Tu es certes le symbole d’une République dont j’apprécie la devise et certaines valeurs, mais tu as aussi été le drapeau de deux empires, de quelque courte monarchie oubliée et même du régime de Vichy : le drapeau des crimes coloniaux ou des déportations, c’était toi aussi. Alors, tu as beau être dressé sur tes fers de lance, la plupart du temps, c’est moi qui te regarde de haut. Tu n’a toujours été qu’un symbole et tu deviens avec le temps un outil de communication qu’on vide de son sens.

Il faut dire qu’esthétiquement, tu n’es pas très beau. Tes couleurs sont presque primaires, et le blanc, que tu portes en ton centre, n’a pas la poésie des pages que je noircis puisque je ne peux plus y écrire ce que je veux. Tu es moche et tu es devenu triste…

C’est pourquoi, si nécessité devait se produire, non, je n’hésiterais aucunement à te brûler si j’avais froid pour allumer un feu, à te conchier si je n’avais plus que toi sous la main au sortir d’une diarrhée, à te souiller de foutre s’il s’avérait que tu sois de soie ou d’autres humeurs si je devais faire l’amour avec toi pour unique drap, à te faire couche pour mes enfants ou mouchoir pour mes aînés, je te déposerais dans la boue au pied d’une femme pour qu’elle ne salisse pas ses pieds sacrés. Tu remplirais alors ta fonction première, celle de la défense de ton peuple dont je fais partie. Tu ne serais plus un symbole qui se vide, mais un réservoir outragé, ô combien utile, apportant chaleur, lumière, douceur, asile, ce que devrait toujours être le phare d’une nation.

Drapeau, si je t’emmerde aujourd’hui, c’est que la liberté que tu es censé représenter, c’est en ton nom qu’on lui porte atteinte en créant ce délit d’outrage.

Alors va chier, drapeau… chiure de langue de bois… suppositoire… gua(i)no… ordure… oriflemme… déchet… bandemourole… pourriture… étendard sanglant… saloperie… fanion… Ta raie blanche, je lui pisse dessus… Ton ciel bleu, je lui crache à la gueule… Ton rouge, j’en frotte les carcasses puantes des hommes qui furent tués sous tes couleurs pour qu’un sang impur ravive leurs corps inanimés…

Et je te prie de recevoir mes amitiés patriotiques et outrageantes, pauvre connard !

LOBO.

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L’honnête homme se méfie à juste titre de la station balnéaire, lui préférant, de loin, la station bipède qui le différencie de la bête et de l’estivant.

Avant d’en expliquer les raisons, il convient de définir d’abord ce qu’est une station balnéaire. C’est un lieu de séjour, en bord de mer, spécialement aménagé pour les vacanciers. Le poil se dresse de frayeur. La station commence exactement là où elle s’achève, en bord de mer. Elle trempe les pieds dans l’immensité en la trouvant froide au début mais c’est pas grave après elle est bonne. On ne saurait traiter l’immensité de façon plus grossière. Il faut dire que les égouts s’y déversent. Quant au vacancier, c’est une espèce absurde qui travaille toute l’année pour pouvoir s’offrir du repos sous prétexte que le chômeur est en vacances toute l’année sans en avoir les moyens. Autant dire que si l’honnête homme marche sur ses pieds, le vacancier, lui, marche sur la tête.

Le comportement du vacancier est absurde. Il a un petit appartement avec tout le confort moderne en banlieue parisienne et va dormir dans une tente incommode au camping. Il habite à deux pas d’un supermarché pratiquant toute l’année les prix les plus bas et décide pendant quinze jours d’acheter des saucisses au prix du caviar. Alors que sa femme les réussit parfaitement à la maison, il préfère les cuire lui même et parvenir à la substance du barbecue estival, le bout de charbon au goût de porc cru. Il joue au tennis sur la plage, alors que la balle de rebondit pas sur le sable. S’il n’était idiot, on penserait que le vacancier est un imbécile, mais non, il est juste con. Il n’y a guère que les enfants pour se comporter exactement de la même façon chez eux et dans les stations balnéaires, mais peut-on vraiment se fier à des individus qui ne comprennent rien à la géométrie non euclidienne et qui trouvent que la guerre c’est mal. Lorsqu’un enfant aura le prix Nobel de Mathématiques nous en reparlerons, mais je vous fiche mon billet que ce n’est pas prêt d’arriver et pour cause…

L’honnête homme, lui, n’est ni juillettiste, ni aoûtien, non, il est éternel. Il peint des nymphéas à Giverny et s’intéresse aux passereaux des Galapagos. La nuit venue il regarde les nuages de Magellan en se sentant bien peu de chose certes, mais tellement plus qu’un vacancier.

Pourtant, pour peu qu’il accepte de se mélanger, de temps en temps, au bas peuple, il est indéniable qu’il en ressort encore grandi. Il y a en tout honnête homme un amoureux des arts qui sommeille, un naturaliste qui repose, un homme sensible.

La station balnéaire est à notre sens le musée de l’architecture du XXème. Se côtoient dans une même ville station des villas Art Nouveau dont les arabesques semblent pleurer de se trouver à côté de pavillons brutalistes et les utopies des grands immeubles de l’architecture High-Tech nous montrent qu’au temps des gilets de laine et des pantalons pattes-d’éph, on concevait un avenir lointain qui n’a pris que dix ans pour ressembler à un passé éloigné. Plutôt que d’aller geindre sur les ruines de l’Acropole, l’âme romantique moderne ira en bord de mer observer ces modes successives qui en croyant tutoyer l’éternité de la beauté n’ont fait qu’offrir à l’idée de ruine des déclinaisons infinies dans ce qui ressemble à un cimetière de l’architecture dont les créatures nécrophages porteraient des tongs et des lunettes de soleil. C’est sans doute l’une des premières raisons qui font que  l’âme sensible flânant rue de la Mer sent poindre l’obscure nostalgie qui suinte de toute station balnéaire.

On croit pouvoir se raccrocher aux jardins. Les essences exotiques n’y sont pas rares et les palmiers y grelottent sous des latitudes où on ne les attendaient plus. Les stations balnéaires sont des Jardins des plantes à ciel ouvert et dont l’entrée est gratuite. Les plantes y sont presque toutes en exil et rêvent la nuit aux déserts ancestraux et aux forêts tropicales. C’est là une autre forme de nostalgie.

Mais c’est bien du côté des vacanciers que l’honnête homme devra finalement tourner ses regards pour saisir l’essence de ce lieu qui tâche de construire une chimère paradisiaque, celle d’un été sans fin qui est celui de l’enfance, des gâteaux de sable et des rires qui s’envolent dans la chaleur étouffée des soleils couchants.

On ne compte plus les familles, les lignées qui d’année en année, de génération en génération retourne au même endroit, se baigner dans la même eau et se rappeler indistinctement les premières amours quand la pérennité d’un je t’aime durait quinze jours pour secouer l’âme jusqu’à la mort.

Ils étaient alors secs comme des coups de trique, bronzés comme des marins et plongeaient des hautes digues loin du rivage en ignorant la peur… Ils avaient quinze ans seulement et pensaient pour la première fois être des hommes. Ils regardaient les filles qui n’en finissaient pas d’éclore et pendant que les gamines couraient le cul à l’air, barbouillées de sable et les cheveux mêlés de sel et d’algues, les grandes soeurs couvraient pour la première fois leurs seins en ignorant que cette soudaine pudeur les rendaient plus indécentes que jamais qui soulignait ce qui était auparavant invisible.

Ils avaient sept ans à peine et gouvernant des châteaux de sable, ils luttaient jusqu’à la mort ou jusqu’au goûter face aux flots déchainés de la marée montante. L’été durait deux mois, c’est à dire toujours et maintenant il dure quinze jours, c’est à dire trop peu.

Et chaque année, malgré la fatigue et l’âge et la pauvreté, la transhumance recommence, et on observe à nouveau le ballet des jeux et les chorégraphies des séductions adolescentes.

Et malgré les dunes éventrées, malgré le tape à l’oeil des commerces, malgré l’odeur grasse des grillades et des huiles dont on s’asperge pour mieux brûler vite et bien, malgré les embouteillages qui durent plus que les bains, tout dans la station balnéaire, son architecture sauvage, ses plantations incongrues et ses migrations klaxonnantes, tout ce fatras est un humble hommage déposé aux pieds nus chaussés de sandales en plastique  de cet enfant qui mange du sable en riant, de cette jeune fille qui met son premier bikini avec l’émoi d’une jeune mariée enfilant une robe immaculée. Et tant qu’ils riront de tout ou rougiront d’un rien, il y aura derrière la laideur du béton, la beauté de l’enfance qui comme la mer est toujours recommencée.

(Ce texte est dédié à Guillaume, Amélie, Julie et Lou…)

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On le sait, les humoristes ne sont pas sérieux. Ils riraient à leur propre enterrement s’ils le pouvaient.

Rien ne distingue a priori l’humoriste de l’honnête homme. L’humoriste va à la selle une fois par jour, est obligé de se couper les ongles régulièrement et trouve son enfant plus attendrissant que celui des autres. Tout au plus repère-t-on une plus grande proportion d’humoristes chez les gens qui ont subi une ablation du prépuce ou qui aiment prendre le thé vers 17h00. Cette adéquation statistique n’a encore à ce jour trouvé aucune explication logique. Si vous n’avez pas d’humour, inutile donc de vous faire hospitaliser ou d’adopter des coutumes barbares.

Non, la seule chose qui distingue l’humoriste de l’honnête homme, c’est qu’il pratique l’humour. Le mot est d’origine anglaise, on ne sait pas très bien ce qu’il peut signifier. Tout au plus peut-on constater que l’humoriste aime à relever autour de lui les détails insolites, ridicules ou absurdes de la réalité. Quand l’honnête homme voit en l’éléphant le dernier représentant des proboscidiens, l’humoriste lui ne voit qu’un animal au long nez… L’humoriste est un imbécile qui ne peut susciter de sympathie, puisqu’il le fait exprès. A contrario, on est en droit d’admirer l’honnête homme  qui, quand il se comporte comme un idiot, le fait bien malgré lui.

Certains humoristes, non content de se moquer de tout et de rien, et surtout des choses d’importance, décident même de faire profession des rires gênés qu’ils provoquent. Ils ajoutent alors à l’ironie et à la satire un cynisme intolérable et rémunéré. Pendant ce temps, l’honnête homme lui sue sang et eau pour nourrir sa famille en fabriquant des missiles, en éduquant des sauvageons ou en étant sélectionneur d’une équipe de foot.

L’humoriste n’est donc pas qu’un imbécile volontaire, c’est aussi un salaud. D’ailleurs, il n’était pas rare qu’Hitler raconte des blagues juives en fin de repas… Nous devrions nous féliciter chaque fois qu’un honnête homme vire un humoriste. Surtout quand cet honnête homme est lui-même un humoriste repenti, revenu de l’enfer des coussins péteurs et des contrepets. Philippe Val faisait des spectacles comiques dans les années 70, accompagné d’un sinistre gauchiste qui a fini en prison à cause d’une blague pas drôle. Mais la vie de Philippe Val a changé quand il est entré en Résistance, guidé par l’esprit des Lumières, contre la Nuit Humoristique : il a d’abord courageusement tenu la chronique la plus prodigieusement emmerdante d’un hebdomadaire satirique avant de diriger une station de radio d’une main de fer. Dans les deux cas, il s’est astreint à virer des humoristes. Et il a bien fait.

Un bon humoriste est un humoriste viré. Je vous l’avoue, je doutais des qualités de Stéphane Guillon et de Didier Porte, le premier me faisait rire un peu et l’autre à peine. La chronique radio suppose des contraintes d’écriture telles que seul un authentique génie du verbe pourrait y être toujours drôle. La mise en scène de soi que suppose la chronique entraîne l’écriture dans des jeux d’égo où l’on perd facilement l’humilité que devrait garder tout humoriste, car se moquer de tout, c’est surtout se moquer de soi. Je ne crois pas Stéphane Guillon et Didier Porte aient toujours franchi haut la main ces deux obstacles (et j’en serais pour ma part tout à fait incapable…) mais ils ont tout de même réussi quelque chose. Car la dernière contrainte qui s’imposait à eux, était celle du salariat, de la commande, de la discipline et de la ligne éditoriale. En s’en moquant, ils se sont fait viré et ont prouvé qu’ils étaient d’authentiques humoristes. Ils ont ri à leur enterrement.

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(où le commentateur arrive à caler trois noms de philosophes super durs à orthographier tout en s’adressant au plus grand nombre…)

L’équipe de France de filosophie fait une piètre prestation au Mondial des Idées.

La pute

Tout commence, pour le quidam qui comme moi ne s’intéresse à la filosophie qu’en dernier ressort de conversation, sur un radeau de fortune ou dans un ascenseur coincé entre deux étages depuis plusieurs jours, par l’affaire Ribéry, métaphysicien de génie dont la vivacité intellectuelle et les multiples appuis sophistiques laisse les contradicteurs pantois…  Péripatéticien forcené, on apprend qu’il a utilisé les services d’une péripatéticienne, mineure au moment des faits. La pauvre (quoique ses émoluments dépassent largement nos salaires), la pauvre femme devient encore plus publique qu’elle ne l’était et déclenche une vague de réactions agressives allant du quolibet beauf à l’insulte la plus vile. Si elle n’était déjà rasée, nous l’aurions tondue.

Puis c’est Anelka, surhomme nietzschéen, pamphlétaire reconnu depuis des années pour l’acuité brutale de ses invectives, qui, pour insulter son entraîneur, lui attribue une mère entraîneuse, la similitude fait sourire. Le philosophe se considère bien supérieur à la prostituée, il fait des pieds-de-nez au pieds-de-grue, et sa pensée  s’accorde en cela à celle du cosmos.

L’Ane Elka

Anelka, qui n’a encore de distinction(s) que sportives, est donc un polémiste renommé depuis des années, qui pourrait avoir une fonction essentielle dans l’équipe de France de filosophie. C’est un attaquant, adepte d’un jeu court et violent, au verbe haut, propre, pour peu qu’il soit bien entouré, à semer la panique dans n’importe qu’elle argumentation adverse. Au lieu de remplir le rôle pour lequel il a été sélectionné (terme au combien révélateur de ce que sont, au fond, ces filosophes), Anelka a préféré insulter son entraîneur. C’est certes un piètre entraîneur, il n’y a pas besoin d’avoir lu Kierkegaard pour s’en rendre compte, la lecture d’une feuille de résultat suffit. Mais quoi, c’est son entraîneur… Il est donc prié par le collège des sages de la FFF, Fédération Française de Filosophie, de retourner à Cambridge ou Oxford, je ne sais plus, réviser sa fénoménologie.

On attendrait de son capitaine et de ses coéquipiers un peu de réserve et de travail pour combler le trou creusé par le départ du champion et pour ressouder un groupe qui a montré sur le terrain un collectif assez douteux.

Le traître

Hélas, les joueurs n’ont pour le coup pas fait preuve de filosophie et ont à la fois décidé de faire grève et de faire la chasse au traître qui a laissé fuiter l’altercation.

Car il y a un traître dans l’équipe ou le staff… Soit. Et son crime serait, paraît-il, pire que celui d’Anelka. Quel rapport avec la filosophie me diriez-vous…

Il convient de se pencher un peu sur ce mot : traître. Dans l’imaginaire collectif français, la figure du traître découle de deux personnages, la balance et le collabo. L’un comme l’autre révèle des informations tenues secrètes par un petit groupe. Et la révélation de ses informations menace la sécurité de ce groupe. L’analogie est juste. On en attend pas moins de la part de nos filosophes et de leur rigueur dialectique. La balance dénonce les crimes et délits commis par des criminels. On peine à comprendre en quoi le terme peut être péjoratif. C’est qu’on l’associe à une forme de collaboration avec un pouvoir ennemi. Car c’est bien la figure du collabo qui est plus profondément interpelée. Le collabo dénonce des résistants juifs homosexuels communistes. Si le nazi représente le mal universel, le collabo représente, lui, le mal universel avec un béret et une baguette sous le bras, c’est l’Antifrance moderne (post 1945). Et il y a un collabo dans l’équipe de France de filosophie. J’ai du mal à comprendre en quoi son crime peut-être pire que celui d’Anelka, en quoi révéler une altercation met un groupe plus à mal qu’avoir une altercation au sein dudit groupe. Il y a là une aporie qui dévoile les difficultés logiques de l’équipe de France et laisse présager, surtout si faisant grève, ils refusent de relire Wittgenstein, de futurs piètres résultats de la part de nos filosophes. Ce qui nous empêcherait de bien rigoler pendant les fases finales.

(Coïncidence : alors que je fumais une clope entre deux lignes, j’ai assisté à un délit de fuite routier suite à un accrochage qui a laissé un motard à terre au milieu d’un rond-point, qu’on se rassure il va bien. Il va de soi que si j’avais pu relever le numéro de la plaque minéralogique et le transmettre à qui de droit, je serais devenu pour l’auteur du forfait, une balance ou un collabo : une pute…)

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Les livres discutent entre eux, de ces conversations silencieuses que seule l’oreille avisée entend. Le Livre de la Jungle parle d’Inde et d’animaux exotiques. Le Livre des records ne gonfle pas que les muscles, ce n’est que rodomontades, hâbleries et vantardises, il fait l’article. À côté de lui, Le Livre de Job a l’air bien geignard. Le Coran et La Bible s’engueulent. De toute façon, personne ne les écoute vraiment : les livres de cuisine sont partis manger, le livre numérique surfe sur internet. Quant aux enfants, ils jouent dehors, dans Le Livre de sable… On en perd plusieurs au milieu des pages dont on ne retrouve jamais la bonne. C’est la panique au Salon à cause des disparitions. On abandonne le livre d’or pour se ruer sur le cahier de doléances. Le Livre d’Élie dit qu’il l’avait bien dit, que la fin du monde est proche et qu’on l’a bien mérité. Le Livre brisé n’a pas le moral. Le public déserte pendant que les exposants sortent leurs livres de compte. C’est une catastrophe. On décide de réagir énergiquement, on met les livres anciens dans un coin où ils se mettent à radoter calmement. Ils en ont vu d’autres ! Ils en ont vu mourir des générations ; ils ne sont vraiment pas à une près. On appelle quelque livres courageux à la rescousse ? Le Tiers Livre ne fait pas grand chose et Le Quart livre, pas la moitié. C’est un naufrage ! Un marin sagace note l’heure du sinistre dans un livre de bord qu’il jette le plus loin qu’il peut dans une bouteille de rhum vidée sur l’instant sous le coup de l’émotion. Le Salon ferme. Le Salon sombre. Et tous les livres disparaissent. Les oreilles avisées n’entendent plus leurs murmures incessants.

Les associations de libraires, qui s’estiment spoliées, décident de rédiger un Livre noir du Salon du Livre de Paris 2010 au moment même où le gouvernement rédige, lui, un Livre blanc du Salon du Livre de Paris 2010. Le dialogue silencieux recommence et l’histoire va sans doute se répéter.

Quelqu’un s’avise que de toute façon tous les livres sont contenus dans Le Livre de Sable et qu’il n’y a qu’à le recopier.

(Merci à AppAs pour la conversation…)

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Éloge du blanc manteau

Mardi 12 Janvier 2010 à 12:05 - Catégorie: Imprévus de presse
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On se tord les bras, on s’arrache les cheveux, on grince des dents, on lève un poing rageur vers le ciel avant de s’effondrer en larmes impuissantes car nul ne peut ignorer cette calamité, que dis-je, ce cataclysme, cette dévastation, cet enfer : il neige… Rentrez les enfants, cachez vos femmes, abattez les animaux, il neige ! Fermez les portes à double tours, rabattez les volets, fermez les rideaux et commencez à prier, il neige ! On va tous mourir ! Il neige ! IL NEIGE !

Avant de céder à la panique légitime, rappelons quelques faits… C’est au tout début du XVIème siècle que Léonard de Vinci dans des notes annexes à l’invention de la glace italienne trace pour la première fois les plans de la neige… Comme souvent chez Léonard, l’invention reste au stade d’intuition et il n’a pas la temps de la réaliser. Le concept sera développé au cours des siècles jusqu’à l’invention de la boule de neige par Thomas Edison alors qu’il n’avait que cinq ans, inspiration fulgurante qui permettrait de présager du génie futur du jeune garçon… Avec les bienfaits de la civilisation, l’Occident a exporté la neige dans le monde entier : les conquistadors dans la Cordillère des Andes, les Anglais au Népal et au sommet du Kilimandjaro, les Français en Terre-Adélie… La chrétienté a même offert tout un continent de glace à quelques malheureux sauvages Inuits qui, avant, n’avaient rien… La fonte de la neige au sommet du Kilimandjaro et le fait que les pygmées Aka n’ont pas de mot pour la désigner montre d’ailleurs fort bien, en plus de sa générosité universelle, la supériorité intellectuelle de la civilisation blanche sur toute autre. La neige est fort utile en tant de guerre, elle permet de repousser à peu de frais les Napoléon et les nazis pendant les campagnes de Russie. Elle fait aussi rire les enfants et  leur permet d’oublier un instant les problèmes d’érection et le prix de l’essence. Enfin, c’est depuis sa démocratisation que l’on sait à quoi sert la fameuse invention d’Archimède, le snow-board… La neige est donc normalement une bénédiction, le fruit du génie humain…

Pourquoi la neige serait-elle alors devenue la onzième plaie d’Égypte, le cinquième cavalier de l’Apocalypse, le quatrième tiers prévisionnel ? On raconte que la neige tue les automobilistes et les clochards, qu’elle brise les os, qu’elle interrompt les transports, casse les lignes électriques, empêche les travailleurs de travailler, qu’elle sème la désolation et l’anarchie… On imagine tout de suite la tendresse que je peux avoir pour elle. Moi, ces draps immenses qui couvrent les lits des rivières me donnent envie de faire l’amour à vos campagnes. Mais bon, reprenons point par point…

La neige tue des automobilistes. Admettons… On voudra bien reconnaître qu’en cette période de réchauffement climatique, c’est de la légitime défense… Les automobilistes  ont commencé… Faisons appel à la raison ; quand il neige, la grande majorité des automobilistes passent leur temps à patiner gaiement à moins de dix kilomètres par heure, à fulminer dans des embouteillages et à se demander comment ils ont pu se mettre dans un fossé alors qu’ils conduisaient en ligne droite. Il est évident que quelques jours de neige réduisent le nombre d’accident mortels puisqu’ils réduisent la circulation et la vitesse. La neige ne tue pas les automobilistes, elles les sauvent de leur propre bêtise, les invite à ralentir, à se montrer prudents, elle démontre qu’une voiture est une chose fort dangereuse et qu’ils peuvent aller au boulot à pied .

La neige tue les clochards. Enfin, le froid quoi. Heu… En fait… Bon… Ça m’ennuie de vous dire ça mais… Voilà… Toutes les statistiques montrent que les clochards meurent moins l’hiver que l’été… … … … Oui, je sais c’est dur à entendre… Voilà, l’explication… Quand la bise est venue, les structures d’accueil et les associations se mettent à fonctionner à plein régime. Pour vous donner un exemple connu, ces gros fainéants des Restos du Coeur passent leur été sous les cocotiers au lieu d’aider les indigents, l’hiver ils rattrapent le temps perdu en distribuant des millions de repas et en contribuant à la réinsertion et au relogement des clochards. Les clochards sont mieux nourris, soignés et logés l’hiver que l’été. La neige, dans sa bonté infinie, réduit considérablement la mortalité des sans-abris.

Devant l’évidence, vous comprendrez que quelques petites fractures supplémentaires ne sont pas un grand mal face au nombre de vies sauvées. Et qu’il y a mieux une certaine grâce au pire un sentiment burlesque à voir les gens glisser plus ou moins adroitement sur les trottoirs immaculés. On a pas souvent l’occasion de réapprendre à marcher. Et comment ne pas regarder avec tendresse ce couple que le froid et le gel serrent l’un contre l’autre, ces enfants qui tentent de se briser les os lors de glissades épiques ou le triomphe de l’ancienne qui a vaincu vingt mètres de glace pour acheter son steack de cheval alors qu’elle n’était pas sortie depuis deux jours. La neige remet l’épopée au coeur de vies étriquées.

Enfin, et c’est paraît-il le plus grand reproche que l’on peut lui faire, la neige casse les lignes électriques, interrompt les transports plus ou moins communs et empêche le travailleur de travailler. On trouve même des travailleurs pour s’en plaindre, des asservis qui regrettent leurs coups de fouet quotidiens, des prisonniers qui se plaignent de n’avoir pas assez de barreaux et que le froid passe entre, des gens qui font six heures de route pour en travailler deux… Il paraît même que la neige a ralenti l’économie et saboté le début des soldes. C’est une terroriste en cagoule claire et au drapeau blanc dont la lutte pour la décroissance est d’une redoutable efficacité. Elle libère chacun de la servitude du travail et de la contrainte consommatrice, fait de l’exception une règle pour quelques jours. Devant le spectacle de sa propre liberté, le quidam s’effraie ! Que faire n’est-ce pas de ce temps libre ? Se promener pour s’apercevoir que le monde est beau quand l’homme ne le traverse pas à toute vitesse hurlante, jouer avec des enfants qui ne sont pas les siens, ne rien faire peut-être… attendre derrière la fenêtre en comptant les flocons… se rappeler son enfance… le temps d’avant qu’on ne devienne un adulte responsable, un rouage de la société… et avoir froid… non pas à cause de la neige, mais à cause de la chaleur perdue… des rires éteints… et parce que cela fait vingt cinq ans que Maman ne nous a pas fait un bon chocolat chaud…

Il n’y a qu’un seul reproche à faire aux dernières neiges. Qu’elles aient eu des centimètres au lieu de mètres…

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