Les femmes-objets connurent le même sort que les autres produits de consommation courante. Produites à très grande échelle, rapidement obsolètes, un modèle remplaçant l’autre en fonction des modes, objets d’un marketing agressif, elles devinrent le marché au plus fort taux de croissance jusqu’à l’invention de la femme-objet jetable pour les magasins discount qui fit exploser les ventes : la mode passa. Le marché s’écroula quand on recréa la femme indépendante, indocile, insoumise qui ne pouvait évidemment pas se vendre.
On trouve encore quelques collectionneurs qui rachètent et réparent amoureusement d’anciens modèles de femme-objet au charme suranné : fétichistes achetant à prix d’or l’ensemble des accessoires de leur modèle préféré, esthètes déshabillant avec des gestes précautionneux les épaules de femmes parfaites pour ne pas abîmer un tissu que le temps a rendu fragile, vieux garçons jouant à la poupée au milieu d’un gynécée dont ils sont devenus les esclaves, écrasés par la peur de vieillir, au milieu de femmes qu’il aimeraient éternelles, et tenus en laisse par la dépendance sexuelle.
Histoire de l’homme qui n’avait que trois vies
Tags: Hibakusha, Hiroshima, Nagasaki, Tsutomu Yamaguchi
Tsutomu Yamaguchi est un type ordinaire qui est mort à 93 ans d’un cancer de l’estomac. On voit par là que le garçon n’est pas un original patenté. Il est né le 16 mars 1916 comme beaucoup de gens. Et est décédé le 4 janvier 2010 comme plein d’autres. Dans les années 30, comme beaucoup de japonais, il rejoint Mitsubishi Heavy Industries. Rien de remarquable à cela.
Son fils est mort lui aussi d’un cancer à l’estomac à l’âge de 59 ans. C’est à partir de ce moment que Tsutomu Yamaguchi aurait raconté son histoire complète.
Le 6 août Tsutomu se rend à Hiroshima pour le boulot. La ville, qui n’était pas un objectif stratégique majeur, n’avait pas subi de raids aériens. Elle était donc un chouette laboratoire grandeur nature pour évaluer les réels dégâts causés par la chouette invention de l’armée américaine : la bombe atomique. On balance donc une bombe. On filme évidemment l’opération, parce que c’est quand même scientifiquement pertinent. On a pas encore eu l’occasion de faire de test sur une vraie ville habitée par des hommes, des femmes, des enfants… Manque de bol, sur les images, on ne voit pas la population courir dans tous les sens avec ces gestes un peu gauches des gens brûlés vifs hurlant de souffrance. Tsumoto est, suivant que vous soyez un optimiste invétéré ou un pessimiste incorrigible, un type qui n’a vraiment pas de bol, le voyage d’affaire s’achève en apocalypse nucléaire, ou incroyablement chanceux, il s’en tire avec les deux bras brûlés… C’est en tout cas un garçon consciencieux qui parvient à joindre son employeur pour le prévenir que Hiroshima est rasée de près, ce que l’employeur a bien du mal à croire, et qu’accessoirement, il est lui même blessé.
Il fait ensuite ce que chacun d’entre nous aurait fait, il retourne chez lui. Le Japonais est ainsi. A l’instar de la fourmi, il est laborieux, petit et très casanier. Surtout vu du ciel. Tsutomu rentre donc dans sa ville. “Fondée” 500 auparavant par des Portugais qui comme on le sait ne peuvent pas voir un village de pécheurs sans y déposer des ouvriers du bâtiment qui n’ont de cesse de construire en écoutant Les Grosses têtes. A l’instar de la fourmi, le Portugais est laborieux, petit et voyageur. Surtout vu du ciel. D’ailleurs, je vous défie de distinguer d’avion un Japonais d’un Portugais. Il n’y a guère que dans l’eau que c’est possible : le Japonais nage dans la mer du Japon alors que le Portugais baigne dans une mer d’huile. Plus tard, les Hollandais s’y installèrent, la ville étant devenue un important port de commerce.
Le 9 août 1945, alors que Tsutomu, enfin rentré à bon port, ayant repris le boulot les bras brûlés, se dit peut-être en feuilletant son thé vert et en dégustant son journal que c’est un miracle d’avoir survécu, une seconde bombe atomique explose dans le ciel de Nagasaki ville où il réside et travaille. Les plus optimistes d’entre vous commencent à douter de la bonne marche du monde quand ils apprennent que cet homme a été victime d’une seconde bombe atomique ; tandis que les plus pessimistes perdent désespoir quand ils se rendent compte de l’incroyable chance de Tsutomu. Non seulement, la bombe, suite à une méprise, a raté son objectif principal, les quais Mitsubishi mais en plus Tsutomu va survivre à cette seconde apocalypse nucléaire.
Que les optimistes se rassurent, Tsutomu ne connaîtra pas la catastrophe de Fukushima ; que les pessimistes s’inquiètent, il est quand même bien mort d’un cancer de l’estomac comme son fils des années avant lui.
Le Japonais n’aime pas se distinguer et Tsutomu pas plus que les autres, c’est pour cette raison sans doute qu’il n’est pas le seul à avoir vécu une aventure similaire et que plus de 160 personnes ont vécu et survécu aux deux bombardements, sans doute par solidarité. On les appelle les niju hibakusha.
Comme les Japonais sont un tantinet rancuniers, Tsutomu Yamaguchi passera la fin de sa vie à militer pour le désarmement nucléaire comme si c’était la faute des bombes qu’on en fasse mauvais usage.