1 Belle dans le barillet : Bastet
Tags: Bastet, Petits chats, Yeux bleus
Bastet est l’éternité faite jeune fille. Elle ne vieillit pas vraiment, elle commence juste à faire plus jeune que son âge. Bastet naît enfant-femme puis devient une femme enfant. Petite fille, elle collectionne les bijoux. Adulte, elle se passionne pour les poupées. Elle ne perd pas de temps à se faire belle tant il lui est facile d’être charmante ou jolie. Tout le charme de Bastet vient de ses immenses yeux bleus qui lui dévore le visage et obsède les âmes masculines. Ils sont en permanence légèrement écarquillés, comme si tout l’étonnait. Rien de plus troublant que ce regard immense qui donne le vertige. On y devine un vide infini, mais c’est bien l’immensité de ce vide qui fascine. Elle n’a plus qu’à habiller avec soin ce regard pour charmer tous les hommes. Même ses chaussures, elle les choisit en fonction de ses yeux. Sa peau est très pâle, presque translucide et on devine, au travers, les ombres bleutées de ses veines anguilliformes qui palpitent, qui font comme une dentelle sombre assortie au satin de ses yeux. Bastet a tout de ses poupées de porcelaine aux yeux trop grands et que l’on ose à peine toucher de peur qu’elles ne se brisent. Bastet a une peau très douce, une voix haut perchée et très douce, des manières très douces. On s’endort dans ses bras rien qu’à l’entendre parler. Il suffit d’avoir des yeux pour la caresser. Quand on parle de Bastet à un confident, c’est en baissant la voix ; et la première chose dont on parle est sa douceur. On ne parle pas du reste, personne ne nous croirait. Sa chambre aux couleurs pastels, ses oreillers gigantesques, ses peluches innombrables, son fétichisme infantile, son goût pour le silence, ses petits chats qui ont tous des yeux bleus immenses et qui disparaissent mystérieusement… Ses cruautés souriantes…
Bastet est dangereuse… Comme les poupées de porcelaine, qu’elle collectionne pour lui servir de faire-valoir, l’âme de Bastet est un espace évidé et sombre. Si elle a besoin d’amour, c’est pour immoler une âme à son corps de poupée. Pour la vampiriser. Tout commence doucement. Séduit par la pureté paradisiaque de son regard, par la douceur insinuante de sa voix, par le velouté de sa peau sous les caresses, l’homme de Bastet est comme hypnotisé et ne se rend déjà plus compte. Elle est souvent fatiguée quand ils voient des amis communs et ils rentrent de plus en plus tôt. Sa petite moue de lassitude est si craquante… Ses amis à lui sont trop violents ou vulgaires pour elle. Son grand regard est triste. Il est si difficile de faire sourire des yeux si immenses. Elle est délicate, et ce sont des brutes : il les verra seul. Puis moins. Puis plus. Son quotidien devient cotonneux. Elle réclame sans cesse des câlins et ça fait au moins six mois qu’il n’ont pas fait l’amour. Ont-ils d’ailleurs jamais fait l’amour, il ne sait plus très bien. Elle est, de toute façon, bien trop douce, trop fragile pour être pénétrée. Elle a des cicatrices au niveau des omoplates. Elle dit avoir été un ange. Il s’ennuie de plus en plus, mais avec de moins en moins de colère, de dépit. Il dort beaucoup, il a de plus en plus besoin de sommeil. Il se demande juste ce qu’il advient des petits chats. Elle les tue quand ils grandissent, parce qu’elle les préfère chatons. Parce qu’après, ils ne sont plus aussi mignons. Ils finissent dans la poubelle sous l’évier. Personne ne le sait à part lui, puisque jamais personne ne vient chez eux. Comme ses chatons dont elle brise le cou d’un petit mouvement de poignet, elle ne l’appelle que bébé, et lui-même ne se souvient plus très bien de son prénom. Il ne sort plus. Il préfère rester à la maison. Elle, elle voit un peu Horus, cet ami qui lui faisait si peur auparavant. Horus est fasciné par les grands yeux bleus de Bastet. Il les regarde jusqu’à en avoir la tête qui tourne.
L’homme de Bastet se regarde dans une glace. Il se sent vieillir tout seul. Il est fatigué. Elle sort presque tous les soirs sans lui. Il s’imagine que le suicide serait plus digne. Il a peur de finir comme les chatons.
Instantanés du Salon du Livre de Paris 2010
Tags: Le Livre de sable, Livre, Salon du Livre
Les livres discutent entre eux, de ces conversations silencieuses que seule l’oreille avisée entend. Le Livre de la Jungle parle d’Inde et d’animaux exotiques. Le Livre des records ne gonfle pas que les muscles, ce n’est que rodomontades, hâbleries et vantardises, il fait l’article. À côté de lui, Le Livre de Job a l’air bien geignard. Le Coran et La Bible s’engueulent. De toute façon, personne ne les écoute vraiment : les livres de cuisine sont partis manger, le livre numérique surfe sur internet. Quant aux enfants, ils jouent dehors, dans Le Livre de sable… On en perd plusieurs au milieu des pages dont on ne retrouve jamais la bonne. C’est la panique au Salon à cause des disparitions. On abandonne le livre d’or pour se ruer sur le cahier de doléances. Le Livre d’Élie dit qu’il l’avait bien dit, que la fin du monde est proche et qu’on l’a bien mérité. Le Livre brisé n’a pas le moral. Le public déserte pendant que les exposants sortent leurs livres de compte. C’est une catastrophe. On décide de réagir énergiquement, on met les livres anciens dans un coin où ils se mettent à radoter calmement. Ils en ont vu d’autres ! Ils en ont vu mourir des générations ; ils ne sont vraiment pas à une près. On appelle quelque livres courageux à la rescousse ? Le Tiers Livre ne fait pas grand chose et Le Quart livre, pas la moitié. C’est un naufrage ! Un marin sagace note l’heure du sinistre dans un livre de bord qu’il jette le plus loin qu’il peut dans une bouteille de rhum vidée sur l’instant sous le coup de l’émotion. Le Salon ferme. Le Salon sombre. Et tous les livres disparaissent. Les oreilles avisées n’entendent plus leurs murmures incessants.
Les associations de libraires, qui s’estiment spoliées, décident de rédiger un Livre noir du Salon du Livre de Paris 2010 au moment même où le gouvernement rédige, lui, un Livre blanc du Salon du Livre de Paris 2010. Le dialogue silencieux recommence et l’histoire va sans doute se répéter.
Quelqu’un s’avise que de toute façon tous les livres sont contenus dans Le Livre de Sable et qu’il n’y a qu’à le recopier.
(Merci à AppAs pour la conversation…)