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La fausse commune

Dimanche 03 Mars 2013 à 15:15 - Catégorie: Imprévus de presse
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Nous allons tous mourir. A l’exception de ceux qui sont déjà morts. Ils sont beaucoup plus nombreux que les vivants. Dans le monde médiéval, qui connaissait la mort mieux que nous et qui reprenait sans chipoter de la peste et du choléra, on se félicitait de cet état de fait. On brûlait aussi des femmes et on donnait des bergères aux loups. On savait s’amuser d’un rien, c’est à dire de tout. On représentait la mort dévorant l’humanité sous forme de danses macabres emmenées par le Pape. C’est qu’on savait que la mort se moque des distinctions sociales et qu’elle frappe avec la même sévérité le riche et l’indigent, l’homme de pouvoir et l’homme de peine. Hélas, de nos jours, la mort ne fauche plus qu’à peine. Son crâne nu transpire. Nous avons augmenté notre espérance de vie, c’est à dire qu’on ose plus regarder la mort en face. Les Papes ne meurent plus menant derrière eux la sarabande du peuple dansant, ils démissionnent. Ils se retirent. Ils ne jouent plus.

Tous égaux devant la mort ? Pas sûr. Certaines processions funéraires sont plus suivies que d’autres et l’on se réunit autour du cercueil des plus ou moins célèbres. La semaine dernière, la France a connu deux deuils.

Stéphane Hessel est mort. Il avait 95 ans, ce qui est un âge honorable. Certes, la vieillesse est un naufrage et il était un peu aigri sur la fin, c’est le privilège de la vieillesse. Il avait même écrit un opuscucule intitulé Indignez-vous pour expliquer son aigreur. A la suite de quoi, paraît-il, dans toute l’Europe et même à New-York des millions d’aigris avaient manifesté pour se plaindre alors qu’ils n’avaient pas tous des rhumatismes. C’est que Hessel dans son ouvrage, s’achevant sur un slogan embarrassant : “Créer, c’est résister. Résister, c’est créer” qui montre que même en deux phrases, à 93 ans, on radote, c’est que Hessel, disais-je, avait la nostalgie qu’on éprouve légitimement à l’approche de la mort pour le temps jadis, le programme du Conseil National de Résistance et l’absence d’Israël comme état. Mort, il fait la couverture de Libé avec un jeu de mots  “Un juste” qui montre bien la disparition totale de toute culture historique au moment du choix de la couve. Si le calembour est la fiente de l’esprit qui vole, Libé montre quotidiennement qu’on ne doit pas hésiter à chier sur ses lecteurs. De haut…

Daniel Darc est mort, il avait 53 ans, ce qui montre qu’il était beaucoup moins résistant que Stéphane Hessel. Il était chanteur. Il était content d’être encore en vie malgré la drogue, les veines tranchées sur scène et les cicatrices qu’il arborait malgré lui. Il a traversé le post-punk et la new wave avant de faire de la chanson française. Quand on a beaucoup vécu, la vieillesse est un naufrage qui commence tôt et s’achève rapidement. Il a pris de la bouteille. Trop. Et des médicaments. Les anciens toxicos sont souvent des gens qui finissent par se soigner avec des drogues légales et qui croient creuser ainsi le trou de la sécu plutôt que leur tombe. Il faut bien dormir. Et des fois, on dort trop longtemps. Mort, il fait la couverture de Libé avec un jeu de mots  “Darc en ciel”. Si le calembour est la fiente de l’esprit qui vole, Libé montre quotidiennement qu’on ne doit pas hésiter à chier sur les tombes. Sans doute une ultime scorie de la geste punk…

Tout le monde meurt, mais certaines morts seraient des évènements particuliers. Toutes les fosses ne sont pas si communes. La vie publique autorise tout un chacun à s’emparer de la mort des célèbres (comme je le fais d’ailleurs ici). Il ne s’appartiennent plus. Va-t-on mettre l’un au Panthéon ? L’autre au firmament en rajoutant une star aux étoiles qui éclairent la nuit ? On croit rendre des hommages ? On crée de toute pièce un fait marquant à partir de ce qui n’est qu’une anecdote. Un vieillard s’éteint d’avoir vécu trop longtemps, un homme meurt d’avoir vécu trop. Nous les connaissions parce que les industries médiatiques avaient imposé leur présence à notre table alors que nous écoutions la radio ou lisions les journaux. On les connaissait à peine. On avait pas lu leurs livres parce que dix pages, cela nous paraissait un peu court ; ni écouté leurs albums parce que dix plages, ça faisait un peu long. Pourtant pendant quelques jours, ils font partie de nos conversations, de celles gênées qui se tiennent à voix basses, aux enterrements, pour que la famille n’entendent pas qu’on est venu que par politesse. Ce qui est la moindre des choses. Comme mourir l’est. Nous en sommes tous capables.

On ira pas pourrir au Panthéon. C’est dommage, ça doit être rigolo d’entendre à l’entrée Voltaire et Rousseau qui s’engueulent pendant que Louis braille…

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