4 Belles dans le barillet : Yseut

Lundi 06 Septembre 2010 à 10:24 - Catégorie: 6 Belles dans le barillet
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Yseut ne tient à rien. Ou tout du moins à pas grand chose. Ou plutôt, si l’on tient à Yseut, c’est pour des raisons tout à fait dérisoires. Un regard. Une odeur. Une vision et un parfum.

La vision. Deux yeux en amandes. À les voir, on se doute que le fruit par lequel on nomme la forme de ses yeux a été inventé après, pour qu’hommage soit rendu à ces deux gouffres dans lesquels les hommes se jettent éperdument et s’abîment au mépris d’eux-mêmes.

Le parfum. C’est celui  d’une fleur ayant sué pendant une longue étreinte estivale. Une première fragrance, légère, insinuante, imprègne le nez le plus obtus. C’est un safran, un pistil qui s’immisce. Puis une seconde, plus capiteuse, tout à fait sexuelle, captivante, celle d’une liane fleurie de corolles suppurantes de plaisir, pénètre violemment la cavité nasale avant de percer un chemin jusqu’au cerveau, pour s’y loger entre les deux lobes frontaux, à l’endroit exact où l’on éxécute les vaincus d’une belle en pleine tête.

Yseut n’est qu’une vision qui apparaît lors des solitudes nocturnes pour y laisser à travers de longues érections douloureuses les draps trempés de sueur et de tremblements. Yseut n’est qu’une odeur qui devient une idée fixe, que l’on croit deviner partout pour ne la sentir nulle part. Elle est la femme faite obsession, le mouvement perpétuel des nuits désenchantées, le désespoir fait cause. Nul ne saurait dire de quelle façon exactement elle serait jolie ou belle. Tous dirait qu’elle a du charme, que son regard est une hypnose et que son parfum est un filtre d’amour médiéval. Et que sans qu’elle ne soit ni charmeuse, ni charmante, on la croise et l’on est charmé, envouté, ensorcelé, supplicié, pieds et poings liés par le désir, possédé par l’idée de la posséder. Yseut est inoubliable. C’est la femme fatale malgré elle.

Yseut traverse la vie en allant de mort en mort, d’homicides en suicides, de faits d’hivers aux massacres estivaux durant lesquels ses prétendus prétendants s’égorgent ou se pendent avec une abnégation sectaire. Yseut est l’objet d’un culte extrême,  justifiant les plus absurdes dévouements, les sacrifices les plus graves et elle ne compte plus autour d’elle les tragédies sanglantes qui de l’automutilation adolescente à l’autolyse des patres familias souillent son existence de fautes qu’elle n’a pas commises. Car elle n’a pas voulu séduire la plupart de ses victimes. Et, en admettant même qu’elle le veuille bien, elle ne pourrait se donner à toutes. Yseut a des prétendants dans tous les cimetières. Et c’est souvent aux enterrements qu’elle engeôle à nouveau.

Les uns ont, au hasard d’un regard ou par la coïncidence d’un coup de vent, connu un enfer immédiat. Les autres, ceux qu’elle a voulu séduire, ont eu la chance de goûter au fruit défendu avant de connaître la chute. Ils ont d’abord été captifs d’une spirale de désirs temporairement satisfaits. Yseut aime faire l’amour autant qu’elle le peut, de toutes les façons qu’elle le peut. Puis, post coitus, ces mêmes désirs renaissent encore plus violents et plus inassouvis. Ceux qu’elle a effectivement voulu séduire ont sombré dans une longue descente au paradis au gré de scénarii sexuels dont elle a été l’héroïne pure. Puis, arrivés au moment où ils ne pouvaient plus être à la hauteur de leurs propres fantasmes, ils ont été rompus, c’est à dire qu’elle les a quittés, les laissant, au propre comme au figuré, impuissants, émasculés en plein priapisme béat. De cette poignée d’élus, il ne reste que des insomniaques, des alcooliques, des fous ou, bien pire, des hommes dont le reste de vie est un regret immense.

Nul ne quitte Yseut. Jamais. Cela fait partie de son charme.

Yseut est tout à fait innocente des drames qu’elle provoque. Objet d’une cour permanente et universelle, elle n’a de toute façon qu’une idée très imparfaite des sentiments qu’elle suscite pour n’avoir jamais connu elle-même la solitude et les obsessions que cette dernière  sublime et va, bien à raison, d’homme en homme sans jamais connaître le célibat. Assurée d’une victoire permanente, elle a rêvé, les rares nuits qu’elle a du passer seule, à ce soldat, bizarrement mutilé, auquel une belle perdue sur un champ de bataille aura arraché d’un coup la vue et l’odorat ; qui jamais avant que l’âge ne s’en mêle, ne sera impuissant ; qui du simple fait de sa présence, interrompra à jamais la ronde morbide des désireux… des morts… et des remorts…

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