Les armoires de ma grand-mère/Derniers jeux avant grandir

Vendredi 07 Novembre 2014 à 12:27 - Catégorie: Doppelgänger
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J’ai beaucoup d’amis et de connaissances qui, comme moi, ont été frappés par cette malédiction qui nous oblige, après avoir composé un morceau, écrit un texte ou pris une photo à montrer ce travail à un public indifférent. C’est souvent embarrassant parce que je fais moi-même partie du public et que l’amitié m’oblige à avoir un avis sur le travail des copains alors qu’on le sait, la vocation ne fait pas toujours le talent, ni l’amitié la complaisance.

Pourtant, certains travaux de copains me touchent et oui, j’aime la musique de GaBlé, les dessins de Trefex, la prose de Yo du Milieu, les films de Yannick Lecoeur sans pourtant croire que les relations coupables plus ou moins amicales que nous entretenons par ailleurs m’ont aveuglé sur la qualité de leur travail.

Pour m’éviter les scènes pénibles qui démarrent sur cette question : “Alors, tu en penses quoi ?”, j’essaie de suivre le boulot des copains à distance et passe ainsi pour un insupportable snob, un prétentieux, un fat.

Je suivais donc le travail de Leïla Fréger de loin. L’un de ses films m’avait suffisamment interrogé pour susciter ma curiosité. Et je dois reconnaître que j’adore Leïla comme modèle. Elle a même posé pour Les Femmes-Objets où elle interprète, entre autres, Nyx et a inspiré le texte qui illustre la photo. Leïla a un visage grec qui prend aussi bien les airs vénérables des statues de marbre blanc aux membres brisées que les ombres douces d’une féminité fugace. Il y a de l’antique et de l’enfance dans ces visages qu’elle arbore successivement et que les photographes capturent.

Depuis quelques jours, elle expose dans les couloirs du Lux, des photographies troublantes regroupées sous ce nom Les armoires de ma grand-mère/Derniers jeux avant grandir. On la voit arriver dans la maison de sa grand-mère, seul endroit encore préservé de son passé, seul lieu qui correspond exactement au souvenir de ses jeux, berceau où l’outrage du temps ne se résume qu’à une légère couche de poussière qui seule voile l’éternité de l’enfance. Elle vide les armoires et joue une dernière fois, se déguisant en exploratrice, en résistante armée d’un Flytox, en chanteuse de salle de bain, un sèche cheveux en guise de micro, recréant le surréalisme naïf de l’âge tendre où la passion fait réalité. Elle y imite sa grand-mère dans des mises en scène tantôt candides, faisant sécher une collection innombrable de lunettes de soleil sur une corde à linge, tantôt profondes quand, le regard levé vers le ciel d’une photo de mariage, elle reproduit avec ses mains l’étreinte des époux qui ne sont plus.

Les intérieurs sont découpés en cadres familiers : armoires, embrasures de porte, étagères et miroirs bornent les différents territoires des intimités superposées. On devine à travers les mises en scène de l’intimité de Leïla, celles de sa grand-mère et de sa famille. Les papiers peints vieillots, décorations que l’habitude a fini par rendre imperceptibles, par la focalisation que provoque le cadre de la photo, retrouvent leurs couleurs chatoyantes et leurs motifs rococos. L’oeil fini par s’attarder sur le détail, créant cette suspension qui est exactement celle du souvenir.

C’est simple, beau et touchant.

Et, derrière l’apparence légère des photos d’une adulte qui rejoue son enfance une dernière fois, on devine une seconde histoire, celle de la filiation féminine, de la transmission familiale, de la construction de soi : d’un devenir femme A travers les différents déguisements de l’enfance que porte pour la dernière fois Leïla se dessinent les vies possibles de l’adulte en devenir et le choix qu’a finalement fait Leïla de devenir qui elle est.

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  1. Marèse Fréger - 8/11/2014 - 12:00

    J’avoue sans honte que votre texte à propos du travail de Leïla me touche énormément, et pour cause : je suis sa mère. Et en tant que mère je suis mal placée pour juger moi-même de ses créations, je suis fan d’office telle une mère juive !! sans recul en fait ! Alors quand son talent est mis à l’honneur par quelqu’un d’autre, ma fierté vibre comme une corde de violon !! Merci mille fois de me conforter dans le sentiment que ma Gazelle fait des choses magnifiques !

  2. Faeryfinn - 13/11/2014 - 10:56

    Je plussoie !
    Je ne connais Leïla que depuis peu mais c’est une personne que j’apprécie beaucoup autant pour ses qualités artistiques que ses qualités humaines.

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