Archives pour ‘Nostalgie’

L’honnête homme se méfie à juste titre de la station balnéaire, lui préférant, de loin, la station bipède qui le différencie de la bête et de l’estivant.

Avant d’en expliquer les raisons, il convient de définir d’abord ce qu’est une station balnéaire. C’est un lieu de séjour, en bord de mer, spécialement aménagé pour les vacanciers. Le poil se dresse de frayeur. La station commence exactement là où elle s’achève, en bord de mer. Elle trempe les pieds dans l’immensité en la trouvant froide au début mais c’est pas grave après elle est bonne. On ne saurait traiter l’immensité de façon plus grossière. Il faut dire que les égouts s’y déversent. Quant au vacancier, c’est une espèce absurde qui travaille toute l’année pour pouvoir s’offrir du repos sous prétexte que le chômeur est en vacances toute l’année sans en avoir les moyens. Autant dire que si l’honnête homme marche sur ses pieds, le vacancier, lui, marche sur la tête.

Le comportement du vacancier est absurde. Il a un petit appartement avec tout le confort moderne en banlieue parisienne et va dormir dans une tente incommode au camping. Il habite à deux pas d’un supermarché pratiquant toute l’année les prix les plus bas et décide pendant quinze jours d’acheter des saucisses au prix du caviar. Alors que sa femme les réussit parfaitement à la maison, il préfère les cuire lui même et parvenir à la substance du barbecue estival, le bout de charbon au goût de porc cru. Il joue au tennis sur la plage, alors que la balle de rebondit pas sur le sable. S’il n’était idiot, on penserait que le vacancier est un imbécile, mais non, il est juste con. Il n’y a guère que les enfants pour se comporter exactement de la même façon chez eux et dans les stations balnéaires, mais peut-on vraiment se fier à des individus qui ne comprennent rien à la géométrie non euclidienne et qui trouvent que la guerre c’est mal. Lorsqu’un enfant aura le prix Nobel de Mathématiques nous en reparlerons, mais je vous fiche mon billet que ce n’est pas prêt d’arriver et pour cause…

L’honnête homme, lui, n’est ni juillettiste, ni aoûtien, non, il est éternel. Il peint des nymphéas à Giverny et s’intéresse aux passereaux des Galapagos. La nuit venue il regarde les nuages de Magellan en se sentant bien peu de chose certes, mais tellement plus qu’un vacancier.

Pourtant, pour peu qu’il accepte de se mélanger, de temps en temps, au bas peuple, il est indéniable qu’il en ressort encore grandi. Il y a en tout honnête homme un amoureux des arts qui sommeille, un naturaliste qui repose, un homme sensible.

La station balnéaire est à notre sens le musée de l’architecture du XXème. Se côtoient dans une même ville station des villas Art Nouveau dont les arabesques semblent pleurer de se trouver à côté de pavillons brutalistes et les utopies des grands immeubles de l’architecture High-Tech nous montrent qu’au temps des gilets de laine et des pantalons pattes-d’éph, on concevait un avenir lointain qui n’a pris que dix ans pour ressembler à un passé éloigné. Plutôt que d’aller geindre sur les ruines de l’Acropole, l’âme romantique moderne ira en bord de mer observer ces modes successives qui en croyant tutoyer l’éternité de la beauté n’ont fait qu’offrir à l’idée de ruine des déclinaisons infinies dans ce qui ressemble à un cimetière de l’architecture dont les créatures nécrophages porteraient des tongs et des lunettes de soleil. C’est sans doute l’une des premières raisons qui font que  l’âme sensible flânant rue de la Mer sent poindre l’obscure nostalgie qui suinte de toute station balnéaire.

On croit pouvoir se raccrocher aux jardins. Les essences exotiques n’y sont pas rares et les palmiers y grelottent sous des latitudes où on ne les attendaient plus. Les stations balnéaires sont des Jardins des plantes à ciel ouvert et dont l’entrée est gratuite. Les plantes y sont presque toutes en exil et rêvent la nuit aux déserts ancestraux et aux forêts tropicales. C’est là une autre forme de nostalgie.

Mais c’est bien du côté des vacanciers que l’honnête homme devra finalement tourner ses regards pour saisir l’essence de ce lieu qui tâche de construire une chimère paradisiaque, celle d’un été sans fin qui est celui de l’enfance, des gâteaux de sable et des rires qui s’envolent dans la chaleur étouffée des soleils couchants.

On ne compte plus les familles, les lignées qui d’année en année, de génération en génération retourne au même endroit, se baigner dans la même eau et se rappeler indistinctement les premières amours quand la pérennité d’un je t’aime durait quinze jours pour secouer l’âme jusqu’à la mort.

Ils étaient alors secs comme des coups de trique, bronzés comme des marins et plongeaient des hautes digues loin du rivage en ignorant la peur… Ils avaient quinze ans seulement et pensaient pour la première fois être des hommes. Ils regardaient les filles qui n’en finissaient pas d’éclore et pendant que les gamines couraient le cul à l’air, barbouillées de sable et les cheveux mêlés de sel et d’algues, les grandes soeurs couvraient pour la première fois leurs seins en ignorant que cette soudaine pudeur les rendaient plus indécentes que jamais qui soulignait ce qui était auparavant invisible.

Ils avaient sept ans à peine et gouvernant des châteaux de sable, ils luttaient jusqu’à la mort ou jusqu’au goûter face aux flots déchainés de la marée montante. L’été durait deux mois, c’est à dire toujours et maintenant il dure quinze jours, c’est à dire trop peu.

Et chaque année, malgré la fatigue et l’âge et la pauvreté, la transhumance recommence, et on observe à nouveau le ballet des jeux et les chorégraphies des séductions adolescentes.

Et malgré les dunes éventrées, malgré le tape à l’oeil des commerces, malgré l’odeur grasse des grillades et des huiles dont on s’asperge pour mieux brûler vite et bien, malgré les embouteillages qui durent plus que les bains, tout dans la station balnéaire, son architecture sauvage, ses plantations incongrues et ses migrations klaxonnantes, tout ce fatras est un humble hommage déposé aux pieds nus chaussés de sandales en plastique  de cet enfant qui mange du sable en riant, de cette jeune fille qui met son premier bikini avec l’émoi d’une jeune mariée enfilant une robe immaculée. Et tant qu’ils riront de tout ou rougiront d’un rien, il y aura derrière la laideur du béton, la beauté de l’enfance qui comme la mer est toujours recommencée.

(Ce texte est dédié à Guillaume, Amélie, Julie et Lou…)

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Meet me in Montauk

Mardi 29 Juin 2010 à 13:46 - Catégorie: Mensonge
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Il y aurait, dans ce grand chalet au sommet des dunes, face à l’océan, de longues veillées autour du piano qui jouerait cette même ritournelle qui plait tant à tous. Dans la grande salle, il y aurait ce parent mort, assis confortablement, un peu embarrassé de s’être un jour suicidé mais dont le rire clair rassurerait le conjoint survivant. Celui-ci ne se tiendrait plus écrasé par le deuil, mais debout à servir à la cantonade un vin léger. Il y aurait cet aïeul à peine connu, par le souvenir effacé, dont la présence discrète accentuerait le parfum de nostalgie. Sa main ne tremblerait plus, elle aurait juste la force et le poids de l’âge quand, posée sur notre épaule, il dirait à tous le jour de notre naissance et comment ce fût la dernière fois qu’il fut heureux avant de mourir… avant ce soir… Il y aurait nos frères et soeurs réconciliés, évoquant les jeux perdus, réunis à nouveau dans une complicité enfantine. Il y aurait les amis, les aimés, tous nos lointains, tous nos disparus, tous nos morts devisant comme si de rien n’était, ayant oublié comme nous les avions pleuré, se détournant parfois des conversations pour nous adresser un sourire inespéré, miraculeux. A l’étage, on entendrait la course de nos enfants, à tous les âges de leur vie, à tous ceux où nous avions été injustes, absents, mal-aimants. Leurs rires descendraient l’escalier pour venir se blottir dans nos bras et nous, le coeur battant à tout casser, nous plongerions le nez dans l’odeur de leurs cheveux. Nous les élèverions à nouveau avec attention et patience. La porte s’ouvrirait alors sur l’aîné, dégoulinant de pluie, revenu comme chaque soir du bout du monde où il était parti aimer, travailler, nous manquer. Il y aurait toutes nos amours – et leurs amours à elles -, toutes nos amours inconciliables auxquelles nous accorderions une égale et juste tendresse sans que rien ne soit plus jamais douloureux pour quiconque. Au dehors, la pluie et le vent redoubleraient de force et la cheminée crépiterait au rythme de notre pouls. Et nos étreintes éternelles dureraient mille éternités.

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