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C’est loin… C’est du boulot…

Lundi 14 Juin 2010 à 16:53 - Catégorie: Doppelgänger
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La campagne se résume pour mes amis citadins à deux assertions qui se veulent définitives et qui condamnent par avance les lieux. Chaque fois que je leur parle de la maison, ils me disent : “C’est loin !” et quand je leur montre le jardin, ils me disent : “C’est du boulot !”

C’est loin… Certes, comme tous les lieux d’ailleurs. Je vais enfoncer la palissade ouverte : les lieux sont loin par définition. Quand vous vous trouvez en un lieu, vous êtes de fait éloigné des autres. La question est plus, loin de quoi ? Je me trouve quant à moi plus proche. Je me heurtais l’autre jour à ces leçons de choses que je dispense presque malgré moi au Petit Bouddha et à Ma Demoiselle dans ce fameux jardin. Je leur montrais, sur une mauvaise herbe, la gangrène noire des colonies de pucerons sur lesquelles des fourmis venaient recueillir le miellat. Le doigt précepteur et le ton docte pourtant, leur indifférence n’en était que plus éclatante : le petit Bouddha se passionne bien plus pour le transport de gravier et Ma Demoiselle pour les corolles virginales des marguerites. Mais cela compte pour moi d’être proche de ces pucerons et de ces fourmis, de l’immensité du ciel, de l’odeur de la terre après la pluie, du ballet des hirondelles et de la promesse des vignes. De quoi suis-je éloigné alors de nécessaire ? De la ville, l’utérus dans lequel il ne fait jamais nuit, dont les cordons ombilicaux fixés à mes yeux, ma bouche, mes oreilles, mon anus et mon sexe me remplissent et me vident continûment. Ce va et vient constant des canaux urbains, des égouts, des rues et du réseau fait de la ville une mère infiniment aimante, parfaitement nourricière, dont on ne peut ou veut plus se détacher. S’en éloigner est insupportable… Plus en tout cas que d’imaginer que la ville est tout à fait le contraire, qu’elle est d’abord anthropophage, qu’elle crée une satiété illusoire pour pouvoir mieux se nourrir de ses petits qu’elle gave. Qu’elle est allumée jour et nuit pour pousser ses enfants à travailler 24h00 sur 24h00 à son expansion. Et qui les abandonne sur des cartons quand ils ne sont plus capables de suivre le labeur permanent. La ville est le trou noir de l’espèce humaine, leur centre de gravité. Et Dieu, qu’ils sont graves, les citadins !

C’est du boulot… Je regarde le jardin qui n’en fait qu’à ses têtes. Les framboisiers s’écroulent sous leur propre poids, les merles pillent les cerises, les fraisiers sèchent dans la serre et l’herbe, ou plutôt la multitude d’herbacées, de graminées et de plantes à fleur que l’on réduit au nom d’herbe, fera bientôt la hauteur de ma fille. Il m’a fallu deux heures pour nettoyer à la fourche et à la serfouette un petite parcelle du potager dans laquelle des arbres commençaient à pousser. J’en suis encore à opposer au travail constant du soleil et de la pluie des efforts épars et désordonnés dont l’inefficacité est tout à fait réelle… J’ahane, je force, je fais violence à la terre et à moi-même. C’est du boulot… C’est sûr… C’est surtout une excellente excuse pour être dehors, sous le soleil, à transpirer pour soi. Puis peut-être s’asseoir et apprendre à lire ce jardin bien avant que d’y écrire mes propres légumes. Cela me prendra quelques années pour trouver ce même rythme indolent et robuste que font l’alternance des jours, des saisons et des gestes paysans.

Les marguerites transpercent la pelouse ? Cela ne les empêche pas de le faire avec grâce et sans doute quand j’aurai enfin les moyens de me payer une tondeuse les contournerais-je en tâchant d’avoir dans le geste la même délicatesse qu’elles ont à dresser sur un tige incroyablement fine, presque fragile, les petits soleils que le grand a déposé chez moi.

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