L’outrage au drapeau
Tags: Drapeau, Identité Nationale, Outrage
Je cite entre guillemets un extrait du billet de Maître Eolas, tenancier d’un blog fort instructif :
“Le Gouvernement, qui n’a visiblement rien de mieux à faire de ses journées (Quelle crise ? Quelles affaire ? Où ça, une guerre en Afghanistan ?) a aujourd’hui décidé de rétablir une infraction de blasphème.
Le décret n°2010-835 du 21 juillet 2010 relatif à l’incrimination de l’outrage au drapeau tricolore est publié aujourd’hui au JO, et incrimine d’une contravention de 5e classe (1500 € d’amende max, 3000€ en cas de récidive)
le fait, lorsqu’il est commis dans des conditions de nature à troubler l’ordre public et dans l’intention d’outrager le drapeau tricolore :
1° De détruire celui-ci, le détériorer ou l’utiliser de manière dégradante, dans un lieu public ou ouvert au public ;
2° Pour l’auteur de tels faits, même commis dans un lieu privé, de diffuser ou faire diffuser l’enregistrement d’images relatives à leur commission.
Rappelons que cette loi indispensable est due uniquement à [une photo], primée lors d’un concours de photographie de la FNAC de Nice sur le thème du politiquement incorrect. En effet, aucune loi ne permettait de punir cet artiste pour son oeuvre, vous réalisez le scandale : on se serait cru dans, horresco referens, un pays de liberté, du genre de celui qui écrirait ce mot sur le frontispice de ses bâtiments publics.”
Mon cher Drapeau,
je vais me dépêcher avant que cet outrage ne concerne plus l’objet physique, mais aussi le symbole. Pour l’instant, je dois être tranquille, je l’espère en tout cas. Mon cher drapeau, disais-je… Je n’ai a priori aucune raison de t’outrager, dans le fond, tu m’importes peu. Tu es certes le symbole d’une République dont j’apprécie la devise et certaines valeurs, mais tu as aussi été le drapeau de deux empires, de quelque courte monarchie oubliée et même du régime de Vichy : le drapeau des crimes coloniaux ou des déportations, c’était toi aussi. Alors, tu as beau être dressé sur tes fers de lance, la plupart du temps, c’est moi qui te regarde de haut. Tu n’a toujours été qu’un symbole et tu deviens avec le temps un outil de communication qu’on vide de son sens.
Il faut dire qu’esthétiquement, tu n’es pas très beau. Tes couleurs sont presque primaires, et le blanc, que tu portes en ton centre, n’a pas la poésie des pages que je noircis puisque je ne peux plus y écrire ce que je veux. Tu es moche et tu es devenu triste…
C’est pourquoi, si nécessité devait se produire, non, je n’hésiterais aucunement à te brûler si j’avais froid pour allumer un feu, à te conchier si je n’avais plus que toi sous la main au sortir d’une diarrhée, à te souiller de foutre s’il s’avérait que tu sois de soie ou d’autres humeurs si je devais faire l’amour avec toi pour unique drap, à te faire couche pour mes enfants ou mouchoir pour mes aînés, je te déposerais dans la boue au pied d’une femme pour qu’elle ne salisse pas ses pieds sacrés. Tu remplirais alors ta fonction première, celle de la défense de ton peuple dont je fais partie. Tu ne serais plus un symbole qui se vide, mais un réservoir outragé, ô combien utile, apportant chaleur, lumière, douceur, asile, ce que devrait toujours être le phare d’une nation.
Drapeau, si je t’emmerde aujourd’hui, c’est que la liberté que tu es censé représenter, c’est en ton nom qu’on lui porte atteinte en créant ce délit d’outrage.
Alors va chier, drapeau… chiure de langue de bois… suppositoire… gua(i)no… ordure… oriflemme… déchet… bandemourole… pourriture… étendard sanglant… saloperie… fanion… Ta raie blanche, je lui pisse dessus… Ton ciel bleu, je lui crache à la gueule… Ton rouge, j’en frotte les carcasses puantes des hommes qui furent tués sous tes couleurs pour qu’un sang impur ravive leurs corps inanimés…
Et je te prie de recevoir mes amitiés patriotiques et outrageantes, pauvre connard !
LOBO.
Si j’avais du, par amour pour une merveilleuse petite française, changer de pays du jour au lendemain, apprendre une langue difficile en demandant à mes nouveaux amis d’être sans cesse corrigé, surmonter mon aversion pour goûter des fromages affinés des mois, des abats d’animaux et des fruits de mer, devenir français en me mariant et en devenant père, apprendre ma langue maternelle à mes enfants tout en corrigeant leurs fautes d’orthographe en français, alors oui, sans doute je serais fier d’être français.
Si j’avais du, à la fois pour survivre et soutenir ma famille restée au pays, traverser un désert implacable et une mer nocturne, une plaine infinie et un col enneigé, une moitié du monde, vaste et hostile, déposer ma vie, mon coeur, entre les mains des passeurs, jouer à un cache-cache mortel avec les autorités, trouver un travail sans qualification et trimer comme une bête de somme car le malheur des pauvres est mondialisé et si au bout de ces longs mois de galère, j’avais pu enfin envoyer ces mandats pour mettre un peu de poisson dans le mil, alors oui, sans doute je serais fier de vivre en France.
Si j’avais du, parce que je suis un salaud de catholique, ou une sale fiotte, ou un traître de Hmong, ou un terroriste du PKK, ou un enculé de sidaïque, fuir un pays que j’aime pour me réfugier dans un pays qui m’a fait rêver… Parce que c’est un pays laïc autorisant la liberté de culte, un pays où l’homosexualité est dépénalisée, un pays où les crimes racistes sont punis, un pays où je bénéficie de la liberté d’opinion, de réunion , de manifestation, un pays où, enfin, je peux me soigner, alors oui, je serais fier de vivre en France…
Mais je ne suis français et je ne vis en France que parce que je suis né français et en France. Qu’on ne me demande pas d’être fier d’être né. Cela ne me différencie de personne. Naître est la chose la plus commune du monde et je partage ce privilège aussi avec le plus grand des imbéciles, le plus glorieux salopard, le moindre d’entre nous et le meilleur d’entre eux. Cela ne fera jamais de moi quelqu’un de meilleur quand bien même j’aime ma langue, cette terre, cette culture et cette démocratie que je suis prêt à partager avec quiconque veut bien les aimer comme moi.