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Éloge des nuées

Lundi 18 Septembre 2017 à 09:31 - Catégorie: Mensonge
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Dans quelques jours aura lieu l’équinoxe d’automne. Vu de la Terre, le soleil à l’équateur sera exactement au zénith, ce qui est fort satisfaisant à savoir quand on aime les choses bien rangées. Hélas, cela n’arrive que deux fois par an. Le reste du temps, par un de ces mystères mathématiques qui donnent leur charme à toutes les évidences et malgré la complexité de l’orbite terrestre autour du Soleil ou le fait que le Soleil se meut perpétuellement le long d’une ligne de fuite, les deux astres demeurent certes alignés mais un je ne sais quoi choque l’œil et le bon sens. Il y a des moutons sous le canapé, il manque une pièce au puzzle, la chaise branle : l’axe de rotation de la Terre n’est pas perpendiculaire à l’écliptique.

Ce n’est pas sans angoisse que le gentilhomme voit venir au loin l’équinoxe d’automne. Celui-ci plongera l’hémisphère nord dans cette période de l’année qui verra le triomphe de la nuit et du froid, ainsi que la disparition des jupes. Il ne sera plus possible de cueillir aux lourdes branches des arbres fruitiers des épaules nues brunies pas le soleil pour y dévorer à pleines mains les nourritures terrestres. Bientôt tomberont les feuilles en parure, couvrant les corps des jeunes hommes et des jeunes femmes que nous admirions sans fin le jour en espérant les aimer lors de nuits trop courtes. A peine entrevus, ils disparaissaient avant l’abordage et c’est nous qui sombrions. Au moins étions-nous occupés à la contemplation de beautés éphémères. Le gentilhomme, pour échapper au mortel ennui de l’hiver où Apollon ne va plus quasi nu et où Aphrodite a la goutte au nez, devra tourner ses yeux vers le ciel. Car ici tout s’inverse.

Qu’il est chiant le ciel d’été dans son bleu uniforme et minéral uniquement traversé par les traînées des carlingues qui en quadrillent la rengaine quotidienne. Et qu’il est beau le ciel d’automne qui joue avec les lumières d’équinoxe, délirant de profusions dans d’immenses cathédrales baroques, colonnes de cumulo-nimbus s’élevant parfois sur plusieurs milliers de mètres de haut, bourgeonnant à leurs sommets en un chou-fleur de ouate sur lequel on aimerait reposer. C’est le fameux cloud nine équivalent anglophone du septième ciel cher aux anges, aux amants et à ceux qui mesurent l’horizon à l’aune des nuées.

Ces architectures de vapeur d’eau, où se côtoient parfois les cristaux de glace et les éclairs d’orages d’altitude semblent marcher sur terre grâce à leur pied faits de traînées d’averse trempant le sol au loin. Une « rue » de cumulus mediocris s’étire à perte de vue et vient en souligner la verticalité tandis que tout là haut des cirrus finissent de s’évaporer pour disparaître croit-on à jamais. Il se reformeront ailleurs, à des centaines de kilomètres d’ici, pour le bonheur d’autres que nous qui aurons également oublié de regarder leur nombril pour s’attarder un instant, leur nez pointant les astres.

C’est l’occasion de voir l’arc-en-ciel, les arcs circumzénithaux, les gloires, les enclumes, les arcus, les échelles des Jacob, colonnes de lumière traversant les nuages et qui tombent sur le sol comme la lumière jouant avec la poussière à travers un vitrail.

Bien sûr, il y aura toujours des esprits chagrins que tous les nuages inquiètent. Peut-on leur donner tort quand le nimbo-stratus semble couvrir l’ensemble de la terre visible, cachant le soleil et la lune, voilant tout d’une lumière absolument diffuse, empêchant ainsi de se repérer dans le temps en suivant la course du soleil ou dans l’espace céleste en effaçant toute mesure sous un plafond gris monotone, morne et humide comme un mouchoir plein de rhume ? Ce ciel bas et lourd indique pourtant à lui seul la véritable heure d’hiver, cette humeur noire qui signe la fin des observations célestes et invite à rentrer chez soi en attendant qu’il se dissipe. L’heure d’hiver, c’est la mélancolie. Le gentilhomme rentre alors chez lui. Il allume au plafond la lumière électrique. Il chauffe l’eau, le lait et la soupe. Il prépare le feu. Il réveille l’été qui attend son heure dans les foyers heureux.

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