Le pré carré
Tags: Fernando Pessoa, Le Livre de l'intranquillité, Livre
Voilà que j’ouvre enfin Le Livre de l’intranquillité à la première page. J’en connais quelques citations superbes, et je l’ai feuilleté plusieurs fois avec plaisir en y piochant une espèce de poésie dérisoire et sensible avec beaucoup de plaisir. De Pessoa ou de la littérature lusophone en général, je ne sais rien. Je commence ma lecture presque vierge de toute idée autre que celles que j’ai lues dans ce livre.
Et voilà qu’un hors texte signé de trois personnes intelligentes contrôle mon entrée dans le livre. J’ai une casquette, des baskets, il n’est pas dit qu’on me laisse entrer comme ça. A l’intérieur de la boîte de nuit, on s’éclate entre gens bien qui savent ce que l’on doit savoir, pensent ce que l’on doit penser, écrivent ce qui doit s’écrire de Pessoa et de son livre. Et les videurs de la boîte, les muscles gonflés de leur bagage, me tiennent en dehors du texte pour m’expliquer que je dois enlever ma casquette et mes baskets et être bien poli.
J’aime de moins en moins cette façon qu’on a de garder les chefs-d’oeuvre derrière un rempart historique, culturel, hagiographique, critique que je dois franchir à chaque fois que je m’attaque à un classique.
Surtout que dans le cas des chefs-d’oeuvre, le hors-texte n’arrive presque jamais à la cheville du texte. Le marchepied est trop bas.
Et puis cette façon, de disséquer précisément le cadavre de Vénus – les aiguilles plantées dans sa peau écorchée, dans l’odeur des conservateurs – avant qu’on ait pu la lire, la voir, la humer pour de vrai me semble l’affaire des nécrophiles plutôt que la mienne…
Saute des pages…
Je suis les méandres d’internet et, après avoir appris que tu étais en train de me mettre une branlée au concours de pronos-coupe-du-monde, je tombe sur ce post sur la virginité du lecteur…Rien n’est plus beau, effectivement, que de se sentir libre et ouvert à toute nouveauté littéraire. De se sentir, j’insiste : car on n’est jamais tout à fait neuf, tu ne le sais que trop, en bon lecteur que tu es. J’achoppe sur la nécrophilie du commentateur et, si tout bon texte peut être accompagné d’un paratexte moribond, la critique me semble être un espace de vitalité littéraire d’une importance capitale. Certes les commentaires historiques sont souvent anecdotiques (quoi que) et leur aspect donneur de leçons (c’est fait par des profs, donc ne soyons pas trop sévères) rend parfois la lecture pompeuse. La magie de l’interprétation (tu es toi même un peu bloggeur-herméneute) est justement qu’elle excède le texte, qu’elle est un hors-texte, qu’elle montre que la littérature est bien incapable de se restreindre au livre (pas au texte, je souligne).
Enfin bon, ptêtre que cette intro ne méritait pas qu’on la lise.
@Sonia : c’est ce que j’ai fait…
@fredgai : La nécrophilie est une boutade, dans le fond je ne suis pas contre. Pourvu qu’on ait déjà vu une belle femme, un écorché est aussi une chose fabuleuse à observer.
Je n’ai rien non plus contre la critique.
La question dans ce cas est plus territoriale, c’est le côté presque mécanique de cet état de fait qui me dérange un peu. Je ne suis pas poujadiste ou raffarinien, mais je suis toujours très inquiet des mécanismes de confiscation de la culture par les élites, et ce procédé me semble en faire partie. On reconnaît un classique à l’ampleur de son paratexte qui indique aussi que le texte “appartient” aux intellectuels.
Je crois que si j’étais éditeur, je mettrais le paratexte à la fin du livre (comme bon nombre d’édition scolaire…) Parce la critique littéraire à cette particularité de produire des objets analogues à son sujet d’étude : des textes. La proximité des formes parasite certaines de mes lectures. Ceci dit, sur les trois textes, celui qui expliquait le “montage” de la présente édition ainsi que la traduction du titre (qui est en plus particulièrement réussie, je trouve) était très intéressant.
A contrario, je lis en ce moment les Dave Robicheaux de James Lee Burke (pas extraordinaire mais j’aime bien avoir un polar dans la poche) et personne, pas même l’éditeur, n’a fait l’effort d’indiquer la chronologie des romans (qui n’ont pas été édités dans l’ordre). Mais c’est du polar, c’est pour les cons…